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2015 : Comment s'extraire de la déflation?

Le véritable défi de l'année 2015 sera d'éviter un naufrage de l'économie de la zone euro dans une déflation qu'on assimile souvent à un scénario à la japonaise. Malheureusement, ce scénario semble de plus en plus plausible : les prix baissent depuis deux ans et le taux d'inflation va devenir négatif au début de l'année 2015. Bien sûr, on pourrait techniquement parler de désinflation plutôt que de déflation, ou d'inflation tendanciellement basse pour éviter de stigmatiser une baisse généralisée des prix. On pourrait aussi, à juste titre, distinguer la bonne de la mauvaise déflation : la baisse du prix du pétrole entraîne une bonne déflation, tandis qu'une baisse de la demande et des salaires entraîne une mauvaise déflation. On peut aussi s'agripper à des définitions techniques : pour parler de déflation, il faut qu'au moins 60 % des prix de l'indice d'inflation (hors produits pétroliers) baissent, ce qui n'est pas le cas.



Mais ces subtiles distinctions académiques sont sans le moindre intérêt. Nous traversons une crise de la demande. Cette dernière est trop faible et conduit à un  taux de croissance insuffisant. Les agents économiques repoussent leur consommation et leurs investissements, alimentant une baisse des prix qui conduit à la déflation. De nombreux facteurs, qui sont autant de tendances lourdes de l'économie, ont un pouvoir d'influence : vieillissement de la population, déplacement des centres de croissance vers d'autres continents, manque de politique industrielle visionnaire, incapacité à moderniser nos économies au travers d'un dialogue social non confrontationnel, maintien d'un état providence partiellement inefficace, état d'esprit insuffisamment entrepreneurial, etc.



Comment s'extraire de ce scénario déflationniste ? Il n'y a aucune recette magique, mais plutôt une superposition de solutions qui font intervenir les politiques budgétaires et monétaires qu'il faut simultanément relâcher.



Politique budgetaire



En économie, on distingue souvent la politique de l'offre de celle de la demande. Stimuler la politique de l'offre vise à flexibiliser les coûts de production et à assouplir les contraintes qui portent sur l'offre de biens et de services. La politique de la demande concerne, quant à elle, une orientation keynésienne. Il s'agit de stimuler la demande de biens et de services par une augmentation des investissements et de la consommation publics, destinée à entraîner une augmentation de la demande privée (également au travers de transferts sociaux et de moindres prélèvements fiscaux).



La gestion d'une économie exige d'équilibrer les politiques de demande et d'offre, mais une chose est certaine : en période de très faible croissance et de déflation, il faut absolument stimuler la demande. Si les agents économiques sont tétanisés par de sombres perspectives économiques, ils refreinent leur consommation et leurs investissements. Il importe dès lors qu'un être supérieur, représentant la collectivité, dépasse les inquiétudes individuelles par des investissements collectifs d'envergure destinés à fournir de la traction à la consommation et à l'investissement privés. Le plan Juncker s'inscrit dans cette logique, mais son envergure est anecdotique.



Certes, au début de la crise, les stabilisateurs automatiques se sont activés, conduisant au constat de moindres recettes fiscales et de dépenses sociales plus importantes. Mais, probablement effrayés par l'augmentation des dettes publiques et la nécessité d'une homogénéité des seuils d'endettement public, les Etats sont trop vite revenus à des contraintes de réduction de déficit.



Et c'est à ce niveau qu'on réalise l'erreur d'avoir imposé un Pacte de Stabilité et (cyniquement) de Croissance. Ce Pacte exige de diminuer l'excédent d'endettement public de 5 % par an afin d'atteindre un rapport de la dette publique sur le PIB de 60 %. Cette règle se conjugue désormais à ce qu'on appelle la "règle d'or" qui exige de ne pas dépasser un déficit "structurel", c'est-à-dire compte non tenu des aléas conjoncturels, égal à 0,5 % du produit intérieur brut (PIB). Ce Pacte empêche une politique de la demande et contribue donc à alimenter la récession et la déflation.



Politique monétaire



Depuis le début de cette crise, j'ai partagé une conviction de la nécessité d'une inflation. Il fallait "monétiser" la crise par une dilution des dettes.  Certains pays (Etats-Unis, Royaume-Uni et Japon) l'ont fait. Cette propension intellectuelle découlait de l'intuition que l'inflation permet de diluer silencieusement les dettes passées dans un contexte récessionnaire qui voit les taux d'intérêt baisser. Il s'agissait donc de refinancer les dettes publiques au travers d'une création monétaire mise en œuvre par la BCE. Mon pressentiment fut démenti : la BCE décida de mettre en œuvre une politique monétaire restrictive, à telle enseigne que la taille de son bilan est presque revenue au niveau de 2008. L'action de la BCE a contribué à la plongée en déflation. Et malheureusement, c'est peut-être trop tard pour mettre en œuvre une politique monétaire plus souple puisque les taux d'intérêt sont au plus bas depuis plusieurs siècles et les banques commerciales noyées sous l'épargne. Ainsi que les années trente l'ont instruit, deux années d'erreurs peuvent coûter dix ans de déflation. Or nous avons déjà épuisé ces deux années d'erreurs.



Plan d'action



Pour extraire la zone euro de la déflation, il faudrait donc aligner deux objectifs. Il conviendrait de repousser la mise en place du Pacte de Stabilité et de Croissance afin que chaque pays puisse individuellement mettre en œuvre des programmes d'investissements d'envergure, sans que l'accroissement de dettes qui en résulte conduise à une quelconque pénalité. Ces emprunts ne coûteraient quasiment rien eu égard au faible niveau de taux d'intérêt. Concomitamment, il faudrait impérativement assouplir la politique monétaire au travers d'une injection de monnaie qui, même si elle n'est pas décisive, oxygénera l'économie.



En conclusion, l'austérité monétaire et budgétaire a, a minima, contribué à la situation déflationniste et récessionnaire. Tout ceci reflète l'incomplétude de la zone euro et la singularité des autorités monétaires qui ont dû s'aligner sur la logique monétaire allemande, c'est-à-dire celle d'une monnaie génétiquement déflationniste. Mais,  singulièrement, peu de voix publiques s'élèvent pour s'inquiéter de cette situation. En effet, une déflation s'accompagne de taux d'intérêt très bas. Or les Etats, engorgés de dettes publiques et bientôt submergés par le financement des pensions, savent qu'une hausse des taux d'intérêt révélerait leur vulnérabilité financière. Les autorités monétaires  de la zone euro sont donc peut-être implicitement en train d'arbitrer la déflation au détriment de la croissance et de l'emploi. Mais ma profonde conviction est qu'une déflation prolongée serrait la dernière défaite de l'euro.