Vers l'aperçu

Inflation ou greedflation : laissons parler les données

Notre inflation serait-elle alimentée par la cupidité des entreprises qui gonflent leurs marges bénéficiaires ?

Les faits ont-ils de l'importance ? Ou sommes-nous vraiment dans l'ère post-factuelle ? Selon la fonction de recherche de Google Trends, greedflation (contraction de greed et inflation) en anglais est devenu populaire  cette année. Test achat a relevé une inflation de 17% en un an sur un panier de 3000 produits dans un contexte de recul général des prix de gros. Pour quiconque a une certaine connaissance des épisodes inflationnistes de l'histoire, il était assez clair que le débat sur la "greedflation" est souvent alimenté par le populisme. Cela n'empêche pas que nous devons tirer des leçons critiques sur la dérive des prix ces dernières années. Dans ce cas, les accusations doivent être principalement adressées aux les décideurs politiques tels que les banques centrales et les gouvernements. Ils n'ont pas suffisamment pris au sérieux le danger de l'inflation dès le début.

Mauvaises évaluations

La sous-estimation du danger des chocs d'offre liés à la crise énergétique découle de la tendance à considérer les problèmes depuis des décennies comme étant uniquement lié à un déficit de la demande. Ce qui serait résolu en relançant la demande. Nous avons pourtant créé des banques centrales indépendantes dans le but qu'elles accordent une plus grande importance au risque de dérapage de l'inflation. Dans les années 1970 et 1980, les dommages causés par l'inflation élevée étaient gigantesques. Et encore plus pour des pays comme le nôtre, où il a fallu des décennies à notre marché du travail pour se remettre de ses conséquences.

Les banquiers centraux ont communiqué pendant beaucoup trop longtemps comme s'ils n'étaient pas conscients de ce danger. Ils ont prétendu que l'inflation ne serait cette fois-ci qu'un problème isolé pour quelques secteurs comme le marché de l'énergie. L'effet de contagion sur l'ensemble de l'économie a été fortement sous-estimé. En particulier, la communication de la présidente de la Banque centrale européenne, Christine Lagarde, a été révélateur. Elle parlait d'une hausse temporaire ou d'une "petite bosse" qui disparaîtrait rapidement. Les modèles à court terme qui étaient incapables de capturer d'autres informations ont joué un rôle remarquable. Il était évident dès le début pour quiconque avait une certaine connaissance des prix internationaux des matières premières que de grandes perturbations étaient à venir. Plus récemment, il était prévisible que l'inflation alimentaire deviendrait beaucoup plus persistante que prévu.

Une leçon très importante de l'histoire est l'importance de la crédibilité des autorités monétaires. Lorsqu'ils la perdent, il devient beaucoup plus douloureux de faire refluer l’inflation. Malheureusement, c'est exactement ce qui s'est passé. En partie en raison d'une mauvaise évaluation de cette crise, en prétendant qu'il s'agissait d'une perturbation "temporaire". Nous ne pouvons pas ignorer la dégradation qui a précédé cela depuis de nombreuses années. Les risques liés aux déséquilibres et aux excès accumulés sur différents marchés ont été ignorés, en particulier à partir de 2013.

Marges bénéficiaires

Le terme "greedflation" suggère que les entreprises exploitent l'inflation pour augmenter leurs prix et leurs bénéfices. Cela en dit déjà long sur l'état d'esprit de l'époque où de tels termes stigmatisant se répandent. Les macroéconomistes analysent les chocs qui se déroulent généralement en plusieurs phases. Le fait que les salaires, les bénéfices et autres variables évoluent avec un certain décalage doit toujours être replacé dans un contexte plus large. Une partie de la réponse est donc qu'il ne faut pas juger trop rapidement. Les médias aussi pourraient être plus réfléchis et éviter d'utiliser des termes stigmatisants tels que "greedflation" sur la base d'une photographie instantanée. Cela est d'autant plus vrai lorsque l'analyse empirique révèle qu'il n'y a pas du tout de phénomène général de hausse des marges bénéficiaires. Très rapidement, les économistes ont pu démontrer que des marges bénéficiaires élevées se limitent à un très petit pourcentage d'entreprises.

Cela est évidemment également très important pour identifier le bon remède. Celui-ci consiste davantage à promouvoir une concurrence saine dans certains secteurs plutôt qu'à adopter des mesures coûteuses et non ciblées. Il est donc dangereux de se fier à des instantanés. Une augmentation cyclique des bénéfices dans le secteur du tourisme ne peut pas être dissociée des pertes considérables qu'il a dû absorber pendant la pandémie.

Les recherches de la Banque nationale montrent que les marges sont faussées par un petit groupe d'entreprises superstars. L'entreprise moyenne a dû se contenter d'une marge brute inférieure à la moyenne de la période 2015-2019 en 2022. Si la réalité est que la plupart des entreprises n'arrivent pas à répercuter pleinement les coûts croissants sur les clients, il est douloureux de les présenter en même temps comme des profiteurs.

Un point important qui reçoit trop peu d'attention est que les indicateurs macroéconomiques des marges bénéficiaires ne correspondent pas toujours aux comptes économiques réels d'une entreprise, qui doivent par exemple amortir le capital et payer l'impôt des sociétés.

Raisonnablement

Nous venons de recevoir les chiffres les plus récents montrant que les marges bénéficiaires évoluent de manière à faire baisser l'inflation plutôt qu'à la faire augmenter. Que chacun prenne ses responsabilités et surtout reconnaisse que les faits et une analyse solide devraient être au centre des préoccupations.

Cette opinion est publiée dans Le Soir le 15/07/2023