La croissance de notre productivité doit primer avant tout
La croissance de la productivité est, de loin, le principal déterminant de notre prospérité future. Elle devrait donc, à tous niveaux, figurer en tête des priorités des prochains gouvernements.
Le démarrage de la campagne électorale s’amorce progressivement avec la longue litanie des habituelles promesses: départ anticipé à la retraite, réduction des heures de travail, salaires plus élevés, augmentation des allocations/indemnités, baisse des impôts, investissements supplémentaires dans la transition durable, finances publiques (plus) saines… De manière surprenante, bien qu’émanant de différents horizons politiques, ces promesses passent toutes sous silence un élément particulier: la nécessité d’une croissance de productivité plus élevée qui demeure le facteur essentiel de notre prospérité future.
Notre prospérité est essentiellement déterminée par le nombre de personnes actives professionnellement et la quantité de biens et services produite par chacune d’entre elles (la productivité). Une croissance de notre productivité induit donc de fournir davantage avec le même apport. Il n’est pas ici question de travailler plus ou plus longtemps, mais bien de travailler de manière «plus intelligente», avec des outils plus performants, des ordinateurs et des logiciels plus puissants, une meilleure organisation et moins de règles restrictives...
En raison de la dynamique démographique, l’accroissement de la population en âge de travailler cessera pratiquement à courte échéance. Toute prospérité supplémentaire devra donc essentiellement provenir d’une croissance de la productivité. Le Comité d’étude sur le vieillissement estime que dans les prochaines décennies, 90% de la croissance de notre prospérité devra résulter de cette croissance. En somme, tout ce que nous voulons réaliser dans les années à venir en termes d’accroissement salarial, de départ anticipé à la retraite, d’augmentation des pensions, d’investissements supplémentaires dans les soins de santé, de transition climatique... devra impérativement être financé par une croissance de la productivité plus soutenue. On ne peut que trop insister sur l’importance de la croissance de la productivité pour notre prospérité future. Or, celle-ci ralentit depuis des décennies et semble être quasiment à l’arrêt. Bien que cette tendance soit perceptible dans la plupart des pays occidentaux, la croissance de la productivité ralentit toutefois davantage en Belgique que dans les pays comparables au nôtre. Par exemple, au cours de ces dix dernières années, la productivité du travail dans des pays tels que le Danemark, la Suède et les États-Unis a augmenté plus de deux fois plus vite qu’en Belgique.
Si nous ne parvenons pas à inverser cette tendance baissière, les générations futures seront moins bien loties que nous ne le sommes actuellement. Dans un tel scénario, à titre d’exemple, notre dette publique deviendra rapidement insoutenable. Qui plus est, avec de tels taux de croissance de la productivité, nous ne pourrons bientôt plus assumer la facture du vieillissement.
Dans les années à venir, si nous souhaitons consolider davantage notre prospérité, absorber les coûts du vieillissement, renforcer structurellement notre pouvoir d’achat, investir dans la transition durable, bref, si nous voulons tenir les promesses électorales qui nous sont actuellement faites, une augmentation de la productivité s’avère nécessaire. Toute la campagne électorale devrait donc porter sur ce point, ou du moins se concentrer sur le plan économico-financier.
Un vaste programme de productivité s’impose donc. Dix points, en particulier, sont importants à cet égard:
1. L’enseignement et la formation
Le niveau d’éducation de la population active est un élément déterminant de la productivité potentielle des travailleurs. La baisse du niveau d’éducation et l’engagement limité en faveur de la formation continue sont préoccupants. On assiste également à un important gaspillage de talents: une partie de nos jeunes (1 sur 8) quitte l’école sans qualification. La qualité de l’enseignement et le cadre plus large de la formation doivent être améliorés.
2. L’innovation
Les dépenses publiques consacrées à la recherche et au développement (R&D) ont un effet de levier sur la croissance de la productivité. La Belgique obtient déjà d’assez bons résultats à cet égard, mais elle peut encore viser plus haut. L’accent doit être mis sur une plus grande diffusion de l’innovation dans l’ensemble de l’économie et sur une meilleure valorisation des efforts de recherche.
3. Un climat entrepreneurial plus favorable
Une dynamique entrepreneuriale saine, avec de nombreuses start-up et la disparition d’entreprises moins productives, est positive pour la croissance de la productivité. Les start-up et les scale-up, par exemple, sont plus aptes à poursuivre de nouvelles idées dans l’économie. Ce dynamisme entrepreneurial reste plus limité en Belgique que dans la plupart des autres pays. Il peut être amélioré en supprimant toutes sortes d’obstacles à l’entrepreneuriat.
4. Les écosystèmes
Pour faire en sorte que l’innovation et le dynamisme entrepreneurial atteignent leur plein potentiel, une étroite coopération entre parties prenantes est essentielle. Les écosystèmes qui permettent aux grandes multinationales, aux petites entreprises et start-up, aux centres de connaissances et gouvernements de se renforcer mutuellement, sont des moteurs de la croissance de la productivité. Les écosystèmes circulaires recèlent également un potentiel important. Les gouvernements peuvent faciliter cet environnement.
5. Des investissements publics productifs
Tous les gouvernements belges ont systématiquement sous-investi pendant des décennies, alors que l’investissement public reste potentiellement l’un des outils les plus puissants pour stimuler la productivité à condition qu’il soit question de véritables investissements qui renforcent la capacité de production de notre économie, et non de dépenses publiques permanentes déguisées en «investissements». Le rattrapage des investissements publics dans des domaines tels que la mobilité, la numérisation, les infrastructures énergétiques... s’impose.
6. La numérisation et l’IA
La numérisation est de loin le moyen le plus efficace de stimuler de manière significative la croissance de notre productivité au cours des prochaines décennies. Mais elle ne se fera pas toute seule. La réalisation du plein potentiel de la numérisation nécessitera, entre autres, des investissements dans l’infrastructure numérique et des efforts massifs de formation aux compétences numériques auprès de la population.
7. L’internationalisation
Les entreprises qui sont exposées à la concurrence internationale sont en moyenne nettement plus productives que celles qui opèrent uniquement sur leur marché domestique. Cela implique une ouverture permanente aux opportunités internationales, en particulier dans un monde où la mondialisation et le commerce international sont de plus en plus remis en question. En outre, nous nous rendons la tâche bien trop difficile pour attirer les talents internationaux.
8. La concurrence sur le marché domestique
Une faible concurrence contribue à détruire l’innovation et la croissance de productivité. Selon les analyses de l’OCDE, il y a trop de barrières en Belgique qui empêchent une concurrence saine. Il est question de réglementarisme: un contrôle abondant des prix par le gouvernement et trop de règles inefficaces imposées à l’industrie, au secteur financier, aux transports, au commerce et à certains services. Les règles trop extrêmes et contraignantes devraient être progressivement abrogées.
9. Un marché du travail dynamique
Dans des circonstances idéales, le marché du travail devrait orienter les gens vers les entreprises les plus productives, mais le système belge est beaucoup trop rigide, trop axé sur la préservation du statu quo du marché du travail. Cela entrave une croissance de la productivité. Une plus grande mobilité, une plus grande différenciation des salaires et une plus grande flexibilité (de part et d’autre) sont nécessaires pour soutenir la croissance de la productivité.
10. Une transition durable
La transition durable consi ste à produire plus (ou la même chose) avec moins d’intrants. Davantage d’innovation et d’amélioration de l’efficacité devraient être au cœur d’une transition durable réussie, ce qui mènera également une hausse de la productivité à long terme. *retrouvez la liste complète des signataires sur lecho.be
Un collectif de 64 signataires*