Le tandem emploi/volontariat
Emploi et volontariat sont complémentaires bien plus qu’opposés. Changer de regard sur leur relation permet d’imaginer des mesures favorables à l’activité et propices au débat politique.
Le rapport entre volontariat et emploi est souvent tendu. Au sein des associations, il n’est pas rare que les salariés se sentent menacés par les volontaires qui leur « prennent leur travail » et « ne sont pas fiables ». À l’inverse, bien des volontaires se demandent pourquoi ces salariés sont payés, alors qu’eux-mêmes agissent gratuitement et « connaissent mieux le terrain ». Cette réalité est largement analysée à travers des cas particuliers, des études sociologiques ou de management.
La tension se retrouve au niveau politique. Certains partis et syndicats sont prudents sur le sujet, craignant que le volontariat ne tire vers le bas la rémunération et les conditions de travail des salariés. On se souvient de débats virulents sur un projet du gouvernement Michel qui voulait encourager le travail volontaire en autorisant, pour tout citoyen, des revenus jusqu’à 6.000€/an sans cotisation sociale ; il n’est pas passé.
Une complémentarité réelle
En fait, volontariat et emploi sont très complémentaires. Dans les associations, le volontariat présente deux avantages. D’une part, il est un puissant levier d’action. La contribution des salariés est inévitablement limitée par les budgets, mais aussi par la logique protectrice des lois du travail qui encadrent par exemple l’activité en soirée ou le dimanche. Les volontaires ne s’encombrent pas de cela : ils viennent quand il faut. D’autre part, ils rappellent le sens. Ils sont comme les canaris dans une mine : si les canaris meurent, c’est qu’il y a du gaz et que l’air n’est plus viable pour les mineurs ; si des volontaires quittent une asbl, c’est souvent que l’action de celle-ci n’est plus assez satisfaisante. Dans un secteur associatif qui n’est pas à l’abri de la dévitalisation, c’est un précieux stimulant.
Par ailleurs les salariés - appelés aussi permanents - permettent une continuité de l’action et une stabilité des structures qu’il est difficile de construire avec un puzzle d’engagements de quelques heures par semaine. Les associations qui fonctionnent bien sont celles où chacun joue son rôle, le travail rémunéré permettant le déploiement du temps donné. Une boucle vertueuse peut alors s’enclencher, l’activité et l’organisation grandissent. ArmenTeKort ou Duo for a Job en sont bons exemples récents.
La boucle sociale vertueuse
La boucle vertueuse se trouve aussi au niveau de la société. Il peut paraître étonnant de constater que des pays dans lesquels le volontariat est important connaissent aussi un fort développement du travail rémunéré. Ainsi, en Belgique seulement 7,8% de la population est engagée comme volontaire, une des proportions les plus basses d’Europe, et le taux d’emploi est de 66,7%, un des plus bas d’Europe. En Irlande on est à 14,8% de volontaires et 73,8% de tx d’emploi, en Suisse à 19,5% de volontaires et 80% de tx d’emploi (données UGent et Fondation Roi Baudouin, 2020, et OCDE). Quant aux Pays-Bas, ils sont l’exemple de ma combinaison réussie du volontariat massif et du travail à temps partiel.
Certes, une corrélation ne signifie pas une causalité. Mais il existe bien une interaction positive entre le capital social, auquel le volontariat contribue fortement, et l’activité économique. Pour les individus, le réseau social est un des éléments favorables à la recherche d’emploi et à la mobilité sociale. Sur le plan collectif, la densité et la qualité du capital social contribuent à la confiance nécessaire à la dynamique entrepreneuriale.
Alimenter le mouvement
Cette interaction positive engage à développer des mesures favorables au volontariat dans le cadre des politiques économiques ou transversales, et pas seulement sociales.
Dès lors, pourquoi ne pas supprimer les obligations de déclaration et les autorisations nécessaires pour le volontariat des chômeurs ? Il est actuellement possible pour un demandeur d’emploi d’exercer une activité bénévole dans le cadre d’une asbl. Mais à condition de la déclarer préalablement, de manière très précise, et que le directeur du bureau de chômage marque son accord. On peut penser que la logique de contrôle administratif a priori et l’esprit de méfiance sont contre performants, sur le plan de la reconnaissance des personnes au chômage comme sur celui de la dynamique collective.
Et pourquoi ne pas imaginer que le financement public des asbl soit, pour partie ou/et pour une partie d’entre-elles, explicitement lié à la densité de volontariat ? Les associations sont aujourd’hui subsidiées sur base de descriptions de projets souvent peu exigeantes, mais de rapports administratifs souvent pointilleux. Ainsi, l’analyse d’impact est encore rare. Or, elle gagnerait à être développée. Dans cette perspective, on pourrait imaginer que le développement du volontariat par le levier de l’emploi subventionné soit pris en compte. Financer 10 permanents qui contribuent à l’activité de 80 volontaires actifs au profit de toute la communauté serait alors reconnu comme plus légitime que financer 10 permanents posés sur le grand échiquier de l’influence des partis et mouvances. Une association n’est pas l’autre, et certaines activités peuvent nécessiter des continuités ou qualifications pointues qui justifient plus de salariat. Il faudrait donc être prudent avec une telle approche, mais elle aurait le mérite d’encourager la synergie des forces.
Considérer que le volontariat et l’emploi peuvent avancer en tandem, c’est reconnaître qu’ils sont les deux faces d’une même pièce : l’activité, un mouvement qu’il importe d’alimenter. Il faut donc les réunir au lieu de les opposer. De la sorte, on pourrait faciliter le débat qui ne manquera pas d’occuper une part de la campagne électorale à venir. Et à juste titre, puisque l’activité est la sève même de nos vies…