Vers l'aperçu

Pourquoi les écologistes ont-ils été désavoués par l’électeur ?

A l’heure où les négociations actuelles sont fertiles en coups de théâtre, revenons un instant sur le résultat du scrutin et l’éviction d’un acteur important. Le crash électoral d’Ecolo a surpris tout le monde. On s’attendait à un net recul mais qui aurait parié sur un tel effondrement ? La base électorale a été divisée par deux. Pourquoi ? Comme c’est souvent le cas en politique, les intéressés ne se remettent pas en cause et estiment avoir « manqué de pédagogie ». Faux. On peut accuser les écologistes de beaucoup de choses mais certainement pas de cela. Bien au contraire, cela fait des années que, amplement relayés par une presse largement convertie, ils égrènent les idées qui leur sont chères et bombardent la population de campagnes d’informations en tout genre. Le discours a bien percolé et c’est faire insulte à l’intelligence des électeurs que de confondre incompréhension et rejet.



Une théorie complémentaire avancée pour expliquer ce séisme, c’est qu’Ecolo paierait le prix de son idéalisme et de son honnêteté dans un monde politique cynique et manipulateur. Cette théorie victimisatrice ne tient pas la route une seconde quand on se rappelle comment plusieurs figures d’Ecolo, exécrant la critique et fuyant le débat, ont géré certains grands dossiers pour maquiller la vérité et masquer leurs échecs (procédés rhétoriques, rétention d’information, pressions, promesses trahies, parjures, écrans de fumée, etc.), contribuant ainsi à l’aggravation des problèmes.



Comment, dès lors, expliquer ce rejet massif d’Ecolo ? En 2009, beaucoup d’électeurs MR ont voté Ecolo car ils pensaient qu’Ecolo allait s’allier avec le MR pour mettre le PS dans l’opposition et lutter contre les problèmes de gouvernance. Ils n’avaient pas pris la mesure de l’antilibéralisme viscéral animant le noyau idéologique d’Ecolo. Aujourd’hui, après 5 années de léthargie et de dérapage budgétaire,  la classe moyenne a enfin compris qu’Ecolo instrumentalisait les ministères dont il avait la charge (énergie, environnement, aménagement du territoire, mobilité, etc.) à des fins purement idéologiques tendant à une transformation radicale et égalitariste de son mode de vie. Et cela dans le sens d’un appauvrissement et d’une régression généralisée. A l’heure où même les socialistes commencent à comprendre qu’on a atteint un point limite en matière de pression fiscale, le programme d’Ecolo est un gigantesque catalogue de nouvelles taxes. « Il faut les toucher par leur portefeuille » entendait-on régulièrement. Et ce par une augmentation artificielle du coût de la vie et la multiplication des désagréments inhérents à un mode de vie consumériste qui doit bien entendu être puni (fiscalité verte, taxe de circulation, taxe sur le kérosène, taxation au kilomètre, etc.). Résultat ? Une bonne partie de la classe moyenne - initialement séduite par ce parti - est revenue massivement dans le giron du MR dont elle est issue. Le catastrophisme des écologistes ne fait plus recette, leur paternalisme agace, leur sectarisme inquiète et leur moralisme exaspère.



Par ailleurs, les écologistes ont, par des subventions massives, tué le secteur du renouvelable intermittent et mis sur le carreau des milliers de personnes engagés à tour de bras dans la fièvre de la bulle verte qui a fini par éclater. Ils ont fait exploser le prix de l'électricité, trahi la confiance des citoyens et investisseurs dans le photovoltaïque et mécontenté de larges groupes de personnes (riverains des champs d’éoliennes, détenteurs grugés de certificats verts, commerçants et citoyens exaspérés par l’attente interminable d’un permis, etc.). Donneurs de leçons, ils se sont aliénés les ruraux. Il faut dire que ce parti intellectualiste de citadins se fait de l’agriculture une idée aussi romantique qu’archaïque : « Vous êtes tous des paysans » déclarait il y a quelques semaines le président du Parlement wallon devant un parterre d’agriculteurs furieux réunis à Gembloux lors d’un meeting le 30 avril 2014. Il croyait magnifier leur travail (dont il voulait réhabiliter les gestes ancestraux, etc.). En réalité, il les insultait. L’intéressé n’a pas été réélu… Les critiques fusaient de toute part. « Que les grincheux grinchent » rétorquait Hoyos à un congrès d’avril 2013. A elle seule, cette phrase explique l’échec d’Ecolo et trahit la déconnexion du réel et le mépris technocratique de cette génération de quadragénaires dogmatiques issus des milieux estudiantins gauchistes de l’UCL et enivrés par leur entreprise de remodelage social.



L’échec d’Ecolo, c’est l’échec de toute entreprise planificatrice. Chantier emblématique du gouvernement Olivier, la politique énergétique s’est soldée par un fiasco monumental car elle a complètement distordu le marché énergétique. On a coutume d’imputer la hausse de la facture énergétique à la « libéralisation » de ce marché. En réalité, il n’y a pas eu de libéralisation. Certes, la mise en concurrence du marché de l’énergie imposée par l’Europe a fait baisser les coûts de production. Mais, les effets de cette mise en concurrence furent annihilés par cette politique antilibérale dont ils furent les principaux promoteurs dans un marché énergétique déjà ultra-réglementé où les deux tiers de la facture énergétique sont ponctionnés par l’Etat, où les consommateurs, déjà lourdement taxés, doivent financer des obligations incombant à l’Etat, où les distributeurs sont contrôlés intégralement par les pouvoir publics, où les transporteurs, majoritairement publics et les grands producteurs, détenus en grande partie par l’Etat, sont contrôlés par un régulateur politisé et sont soumis à une puissance publique capricieuse qui fixe et gèle les prix et qui subsidie l’énergie non rentable. La politique énergétique, qui, via divers mécanismes, impose des quotas d’énergie verte de plus en plus importants, fait exploser la facture : entre 2006 et 2013, le prix du consommateur moyen a augmenté de 54% ! Et ce n’est pas fini. D’après une étude récente du Boston Consulting Group, à politique inchangée, l’électricité augmentera encore de 40% d’ici 2030.



L’explosion de la bulle verte, l’écroulement du marché des certificats verts et, corrélativement, le surcoût phénoménal (près de 3 milliards €) suite à l’activation du plancher garanti ont conduit au dérapage. Sous la pression des partenaires de l’Olivier, les intéressés ont du faire marche arrière. Ce rétropédalage a eu pour seul effet de décevoir une frange radicalement différente du parti : la fraction extrémiste. Pour des raisons inverses aux bobos trop taxés, tous ceux qui aspiraient à l’anéantissement du mode de vie consumériste de la classe moyenne ont déserté ce parti et donné massivement leur vote au PTB.



Notons que ces extrémistes n’ont pas entièrement tort : au regard de ses objectifs idéologiques, la politique d’Ecolo fut totalement contreproductive. Ceci dépasse - et de loin - le cadre wallon. Ce fiasco signe avant tout l’échec du paradigme idéologique dominant en Europe : le développement durable. Ce dernier - qui ne doit pas être confondu avec la volonté de préserver l’environnement et le bien-être des générations futures à laquelle adhère tout esprit raisonnable - formate depuis longtemps les politiques énergétiques des États membres. Le développement durable est celui qui, idéalement, se situe à l’intersection de trois ensembles : le social, l’environnemental et l’économique. On est loin du compte. Le résultat est d’abord dramatique d’un point de vue social : hausse du coût de l’électricité pour les particuliers (le Wallon paie son électricité 15% plus cher que le Flamand), creusement des inégalités en raison de ce renchérissement (étude IRES, mars 2013, UCL), crises alimentaires au tiers monde suite à l’exploitation de biocarburants, etc. Il est ensuite environnemental : réouverture, en Allemagne, des centrales à charbon, les plus polluantes qui soient, hausse des émissions de CO2 suite à la sortie du nucléaire, etc. Enfin, il est économique : chute alarmante de la compétitivité des entreprises européennes en raison des taxes énergétiques et du renchérissement du prix de l’énergie. Nombre d’entreprises énergivores (en particulier le secteur chimique qui, directement et indirectement, emploie 237.000 personnes en Belgique) se délocalisent en Amérique où le coût énergétique a été divisé par trois suite à la révolution du gaz de schiste dont les pays de l’UE, au nom de cette idéologie, refusent d’entendre parler.



Fiasco social, environnemental et économique, la politique énergétique durable, telle que pratiquée par le gouvernement Olivier, n’est pas «durable». Pourquoi ? La raison en est simple : combattre l’économie de marché revient à combattre le système qui rend possible la formulation des solutions les plus prometteuses aux authentiques problèmes sociaux, économiques et environnementaux. Pourquoi, par principe, bannir les méthodes libérales pour parvenir aux objectifs écologiques ? C’est aux écologistes de ce parti à s’interroger et à répondre à ces questions. Quoi qu’il en soit, à l’heure où, selon toute probabilité, Ecolo quitte l’attelage gouvernemental, n’est-il pas urgent de changer de paradigme énergétique ? Tel est l’objet du livre « Fiasco Energétique » que nous publions aujourd’hui aux éditions Texquis. Il y a place en Belgique pour un mouvement écologique mais ce dernier doit renoncer à ce rêve totalitaire d’uniformiser les modes de vies. C’est le monde qu’il faut transformer. Pas l’homme.



Corentin de Salle (juriste et philosophe) & David Clarinval (député bourgmestre)



Auteur de « Fiasco Energétique. Le Gaspillage écologiste des ressources », Texquis, 2014, 280 pages