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Recommandations relatives à l’approche des combattants pour la Syrie à l’intention des négociateurs suédois

La lutte contre la radicalisation et le terrorisme figure au sommet de l’agenda des négociateurs de la coalition suédoise. Et à juste titre, car des Belges sont actifs à l’EI, et ils forment par définition un danger potentiel pour la sécurité nationale. Mais les partis de la coalition suédoise formuleront-ils aussi des réponses politiques cohérentes ? Ci-dessous, nous donnons d’ores et déjà des informations générales, ainsi qu’une série de recommandations.



L’EI et l’islam



Les combattants de l’EI sont des adeptes du salafisme jihadiste. Il s’agit du résidu violent du salafisme, qui est une tendance puritaine et minoritaire au sein de l’islam. Ils visent un Etat musulman ‘pur’ où la volonté de Dieu serait implémentée et où il n’y aurait donc pas de place pour la démocratie ni pour les droits individuels et sociaux modernes. L’EI a un rapport à l’islam comme les nazis avaient un rapport au nationalisme. En d’autres termes, l’EI est issu de l’islam mais il ne se confond pas avec celui-ci.



L’EI et les pays arabes



La plupart des régimes arabes observent toujours le phénomène de l’EI et sa progression à travers des lunettes sectaires et de sécurité. Les pays arabes ont une peur bleue de la zone d’influence iranienne – et donc chiite – qui prend de l’ampleur au Moyen-Orient. Avec ses pétrodollars, l’Iran – tout comme l’Arabie saoudite et les autres Etats du Golf – mène une politique étrangère prosélytique. En raison justement de l’entrelacement intime du leadership religieux et politique dans ce pays – où le chef religieux, l’ayatollah Khamenei, a le dernier mot et est le plus écouté –, ces activités prosélytiques sont considérées comme une ingérence dans leurs affaires internes, comme une violation de la souveraineté et donc comme des actes hostiles. L’Iran dispose en outre d’un potentiel démographique, intellectuel, politique, économique et nucléaire qu’aucun pays arabe ne possède – il est en train de devenir « l’Allemagne du Moyen-Orient ».



L’ennemi de mon ennemi est mon ami, dit le proverbe. Tant que la progression de l’EI n’ébranle pas la monarchie saoudite (et jordanienne), il sera toléré dans sa lutte contre l’ennemi : le régime d’Assad en Syrie et le pouvoir dominé par des chiites en Irak. Les deux sont perçus conjointement avec le Hezbollah libanais comme des proxys iraniens dans la région essentiellement sunnite.



Les armées des Etats arabes du Golf ne passeront à l’action contre l’EI que si celui-ci menace de devenir si puissant que l'Arabie saoudite risque de vaciller et/ou si le dossier nucléaire iranien a été mené à une fin acceptable aux yeux des pays arabes. Tant que ce n’est pas le cas, ils laissent faire. Un jeu dangereux, sans plus.



 



"D’un danger « potentiel », les combattants belges de l’EI ne deviennent un danger « réel » que si nous sapons leur étatisme islamique de façon directe dans cette phase. Les pays membres de l’OTAN pourraient obtenir plus en exerçant une pression sur le gouvernement irakien et les pays arabes pour qu'ils luttent sur le terrain contre l'EI (et son idéologie), et en leur fournissant le soutien nécessaire, même militaire."



 



L’EI et l’Europe



Le jihad ou la guerre sainte de l’EI ne vise pas une « guerre contre l’Occident en Occident », mais l’installation d’un califat en Orient, dans une région à prédominance musulmane. Le but de l’EI est de réaliser ce rêve d’une réinstallation du califat, ce soi-disant Etat musulman pur. Un pays purgé des infidèles et des personnes de confession différente, où ne triomphe pas la souveraineté du peuple, mais celle de Dieu. Un Etat totalitaire prémoderne, une théocratie donc.



Aujourd’hui, le conflit est perçu par les parties belligérantes comme une guerre entre les sunnites et les chiites. Toutefois, si l’UE et les Etats-Unis devaient intervenir directement militairement, le conflit risquerait d’être présenté comme un combat « de l’Occident » contre « les musulmans » ou « l’islam ». Un clivage « nous-eux » grandissant, des reproches de néocolonialisme et d’impérialisme, et des théories du complot pourraient rapporter à l’EI une popularité sans précédent parmi les musulmans.



Ce scénario est peu probable, mais pas inconcevable. La Turquie, membre de l’OTAN, est notamment limitrophe de la zone EI. La Turquie a été impliquée à différents égards dans la guerre civile syrienne et elle a des intérêts dans le Kurdistan irakien. De plus, l’EI a pris du personnel diplomatique turc en otage à Mosoul depuis quelques mois. Une attaque de la Turquie par l’EI pourrait être considérée comme une attaque de tous les pays membres de l’OTAN, avec éventuellement une réponse militaire de l’OTAN à la clé.



Il s’agirait là d’une évolution dangereuse. En effet, si l’OTAN devait définitivement faire tourner l’équilibre des pouvoirs sur le terrain au détriment de l’EI, ce dernier irait assurément déplacer ou étendre son jihad à l’Occident. De nombreux musulmans lui réserveraient un bon accueil, parce qu'il s'agirait d'un soi-disant « jihad défensif » contre « l'agresseur occidental ». Ce scénario doit être évité, à plus forte raison parce que des centaines d’Européens se battent dans les rangs de l’EI, qui, avec leur savoir-faire et leur passeport, peuvent facilement être engagés pour des opérations terroristes dans l’UE.



D’un danger « potentiel », les combattants belges de l’EI ne deviennent un danger « réel » que si nous sapons leur étatisme islamique de façon directe dans cette phase. Les pays membres de l’OTAN pourraient obtenir plus en exerçant une pression sur le gouvernement irakien et les pays arabes pour qu'ils luttent sur le terrain contre l'EI (et son idéologie), et en leur fournissant le soutien nécessaire, même militaire.



 



"Il est important de souligner que toute mesure contre les combattants pour la Syrie doit être raisonnable et proportionnelle. Nous fournissons d’emblée dix éléments essentiels pour infléchir la menace"



 



10 recommandations de politique à la mesure des combattants belges de l’EI



Entre-temps, les bonnes questions en matière de menace terroriste sont posées au niveau politique supérieur, mais des réponses exhaustives se font attendre. Nous fournissons d’emblée huit éléments essentiels pour infléchir la menace. Cela requiert évidemment la mise en œuvre de différents domaines politiques et niveaux de compétences.



1) Dans un premier temps, le flux d’informations entre les pays européens, mais aussi en Belgique, entre le niveau politique fédéral (Affaires intérieures) et les administrations locales, doit être amélioré. L’échange d’informations entre les nombreux services de sécurité et de renseignement peut lui aussi être optimisé.



2) Par ailleurs, nous devons envisager de transmettre aux autorités turques les noms des Belges dont les services de sécurité et de renseignement belges savent qu’ils partent ou sont sur le point de partir. L’accès au territoire turc pourrait ainsi leur être refusé, de sorte qu’ils n’atteindraient pas la Syrie – provisoirement ou non, et via cet itinéraire en tout cas. La part du lion des combattants pour la Syrie rejoignent notamment la Syrie via la longue frontière turco-syrienne poreuse.



3) Il faut ensuite définir un cadre légal interdisant de combattre dans des milices ou des armées régulières étrangères. Tant que ce cadre légal n’existe pas, il doit y avoir un cadre politique qui mise sur les initiatives de dissuasion. Dans ce contexte, les services de sécurité doivent avoir une marge de manœuvre en vue de convaincre les jeunes dont ils savent qu’ils sont sur le point de partir. Cela ne décharge en aucun cas les parents de leur responsabilité envers leurs enfants mineurs.



Les campagnes de dissuasion sont importantes parce qu’une multiplication du nombre de jihadistes est tout sauf inconcevable si la ligne de rupture sunnite-chiite devait complètement exploser, et donc que l’Arabie saoudite et l’Iran devaient se retrouver directement face-à-face sur le champ de bataille – un scénario catastrophe qui ne doit pas former notre point de départ, mais que nous devons garder à l'esprit.



4) Quatrièmement, l’incitation à la haine, quelle que soit l’idéologie sous-jacente, ne doit pas être tolérée. La liberté d’expression prend fin là où commence l’appel à la violence. La prédication de la haine est punissable. Etant donné que les salafistes militants sont le vivier et les orienteurs de jihadistes potentiels, ils doivent être surveillés de façon conséquente et être punis à temps et rigoureusement s’ils prêchent la haine et en appellent à la violence.



5) Par ailleurs, les autorités peuvent apporter leur soutien aux instances islamiques qui se consacrent à mettre au défi le salafisme sur Internet. La création d’un contre-récit doit se faire par et pour les musulmans, mais les autorités peuvent le faciliter en apportant leur soutien.



6) Sixièmement, les prédicateurs salafistes ainsi que les recruteurs de réseaux jihadistes visent surtout – mais pas exclusivement – les jeunes inactifs et vulnérables. Donnez à ces jeunes une structure et rendez-leur leur amour-propre avec un emploi du temps sensé. Une politique d’activation est absolument indispensable.



7) De plus, il apparaît que les seuils de et vers l’aide sociale en général, l'aide sociale à la jeunesse en particulier, les boutiques éducation… sont toujours trop élevés. Parmi les jeunes radicalisés, il y en a pourtant beaucoup qui se trouvent dans une situation d’éducation problématique. En captant les signaux à temps, on peut éventuellement éviter des dérapages. Les centres d’encadrement pour élèves peuvent aussi jouer un rôle important en la matière.



8) Huitièmement, les jeunes qui reviennent doivent passer par plusieurs filtres de sécurité afin de séparer le bon grain de l’ivraie. Plusieurs combattants pour la Syrie ont émigré dans la « zone musulmane libérée » plutôt pour des motifs religieux, et pas forcément pour y prendre les armes. Par ailleurs, il y a de nombreux combattants effectifs qui restent dans le filtre et qui doivent par conséquent être « épouillés » au moyen de programmes de déradicalisation spécifiquement mis sur pied à cette fin. Ces programmes n’existent pas encore chez nous, mais il suffit dans un premier temps de puiser l’inspiration dans des pays comme le Royaume-Uni et même le Pakistan et l’Arabie saoudite.



9) Ceux qui ont commis des crimes de guerre démontrables doivent naturellement faire l’objet de poursuites. Attention, il faut bien réfléchir à l’endroit où nous allons enfermer les combattants pour la Syrie qui ont commis des crimes de guerre. Le cas Trabelsi à l’esprit, ils peuvent vite devenir des exemples, des héros ou des gourous pour certains détenus.



10) Pour finir, il est important de souligner que toute mesure contre les combattants pour la Syrie doit être raisonnable et proportionnelle. Ainsi, il est par exemple question de retirer la nationalité belge aux combattants pour la Syrie qui ont une double nationalité. Il faut se demander si les bénéfices l’emportent sur les frais. Une telle mesure aurait notamment un effet polarisant et ferait le jeu des radicaux. On pourrait renforcer le sentiment d’être un citoyen de deuxième classe parmi les Belges qui sont nés et qui ont grandi ici – mais qui, en raison de l'origine de leurs (grands-)parents, ont une double nationalité. De plus, on pourrait bien s’engager sur une pente glissante. Le débat sur la double nationalité peut et doit peut-être être mené dans le cadre de la politique de migration et d’intégration plus large, mais il ne devrait pas être associé à ce dossier spécifique. Il est trop important pour cela.   



 



L’auteur est lié à la VUB et au centre de réflexion politique Itinera Institute en tant que politologue.