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Réforme bancaire: 'The proof of the pudding is in the eating'

En automne 2008, le gouvernement Leterme a vendu les trois quarts de Fortis Banque Belgique au Français BNP Paribas. En 2013, le gouvernement Di Rupo a vendu le quart restant pour un montant de 3,25 milliards d'euros. Ces deux transactions ont été réalisées le couteau sous la gorge. En 2008, il y avait la crise bancaire et le fait que les Belges étaient surclassés par une armée de technocrates français. En 2013, la Belgique, sous la pression de la Commission européenne, devait fouiller ses réserves à la recherche de biens vendables, histoire de ramener la dette publique sous les 100 % du produit intérieur brut (PIB). 



En 2013, on a déploré que le centre de décision de BNP Paribas Fortis disparaisse de plus en plus de notre pays, mais ces regrets arrivaient trop tard. Le coup de grâce avait été donné dès 2008. De même, il ne faut pas feindre la surprise en constatant que l'État français considère, dans les faits, les banques françaises comme un prolongement de l'État. Le plus éloquent peut-être est qu'il ait fallu attendre l'annonce de la vente du quart restant des actions Fortis fin 2013 pour qu'un débat sur la stratégie belge s'engage. La vente était-elle dès lors évidente précisément en raison de l'incapacité apparente du monde politique belge de développer une stratégie digne de ce nom pour le système bancaire ? 



Il est trop facile pour une banque d'enregistrer une perte de 5, voire 10 pour cent de la valeur de ses actifs. De qui se moque-t-on, finalement, en n'osant pas réclamer un matelas de capital plus substantiel ? Le fait qu'il y ait encore aujourd'hui des subsides implicites en faveur des banques 'too big to fail' signifie que les exigences en termes de capital doivent et peuvent encore être fortement revues à la hausse.



De même, on verra alors clairement si les pas hésitants visant à évoluer d'un régime ‘bail out’ vers un régime ‘bail in’ seront réellement mis en pratique. Pour cela, il faut d'abord que les actionnaires des banques et les détenteurs d'obligations subordonnées soient mis dans le même bain, selon un mécanisme de résolution bien établi. Au vu des expériences récentes, j'ai des raisons d'être sceptique et je me demande si nous avons le courage nécessaire pour mettre en application de tels principes. C'est pourtant essentiel si l'on veut respecter la promesse de ne plus présenter l'addition des faillites bancaires aux contribuables.



Tant que les banques seront considérées, économiquement et politiquement, comme étant 'too big to fail', le citoyen pourra trembler. Voyez les États-Unis où depuis 2008, du côté des petites banques, pas moins de 400 banques insolvables ont été liquidées comme il se doit, avec transfert de l'épargne garantie vers des concurrents viables. Mais même dans le pays du capitalisme dit authentique, d'autres règles sont d'application pour les grands enfants de Wall Street. C'est précisément le subventionnement d'entreprises faibles ou défaillantes pour éviter des dommages systémiques plus importants, le 'lemon socialism', qui menace notre avenir.



Il n'y a pas d'autre voie que la responsabilisation de toutes les contreparties d'une banque. Qui casse les verres les paie. Ceux qui ont investi dans l'expansion incontrôlée de Dexia y auraient réfléchi à deux fois s'il y avait eu déjà clairement, à l'époque, un régime 'bail in'.  On peut même considérer que Dexia, dans de telles circonstances, n'aurait trouvé pratiquement aucun financement, ou seulement à des conditions très coûteuses. Le monstre n'aurait alors jamais atteint une taille aussi absurde. Mais 2008, la condition pour l'obtention d'aides publiques était que l'entreprise soit grande et non rentable. Difficile d'imaginer quelque chose de plus menaçant pour l'innovation et le progrès.



Ce que nous devons craindre par-dessus tout, ce sont les autorités qui ne retiendraient de ce sombre épisode que l'idée selon laquelle ce fut une erreur de laisser Lehman tomber en faillite. L'idée d'une politique qui aurait pour seul objectif de ne jamais laisser une banque tomber en faillite est de nature à frapper de stupeur tout économiste avec une once de bon sens. Or, c'est précisément un discours que tiennent fréquemment les responsables politiques, certains déclarant textuellement que désormais, plus aucune banque ne peut tomber en faillite.



Il n'y a qu'un critère ultime sur lequel pourra être jugée la qualité d'une réforme bancaire. Ce critère, c'est que les décideurs cessent de donner aux gens l'illusion que la réglementation empêche qu'une banque tombe en faillite, mais déclarent plutôt que n'importe quelle banque pourra désormais tomber en faillite et que cela ne mettra pas la société en péril. La question que l'on doit poser aux responsables n'est pas de savoir si beaucoup de choses ont changé. La bonne question est de savoir si nous devons toujours supporter des institutions 'too big to fail'. Comme on le sait, ‘the proof of the pudding is in the eating’. Si un responsable politique prétend que le travail est bel et bien terminé, contrairement aux États-Unis, demandez-lui donc quel pourcentage de l'ensemble des actifs figure au bilan d'un petit groupe de 15 grandes banques. Un écosystème bancaire productif se caractérise non par la concentration, mais par une grande diversité. Nous devons donc constater qu'une série de principes mis en avant par les économistes au cours de la crise, comme la nécessité d'un bail-in au lieu d'un bail-out, sont à présent pris en compte, mais que le travail n'est pas entièrement terminé, si bien que le risque de voir des institutions privilégiées prendre la société en otage n'est pas totalement écarté.