Prendre sa pension sans prendre celle de ses enfants
Comment maîtriser nos dépenses de pensions sans remettre en question les droits passés ? Est-il possible de réformer progressivement et sans rupture notre régime de pension ? Oui, à condition de s’y prendre tôt avec un effort modéré, proportionné mais soutenu de tous. Voici ce mécanisme.
Le pot commun
Il est surprenant que toute l’attention publique en matière de pension soit tournée vers la réforme française alors que la Belgique est l’un des derniers pays d’Europe à ne pas avoir réformé son système de pension. Notre gouvernement est en discussion pour savoir comment assurer la soutenabilité financière de nos pensions. Quel est le problème ? Notre système de pension fonctionne comme un grand pot commun dans lequel les personnes actives contribuent par leurs cotisations et les pensionnés prélèvent pour financer leur pension de retraite. Le double défi du financement auquel nous sommes confrontés est relativement simple à comprendre.
Le double défi
Le premier défi du financement concerne le vieillissement. Le nombre de pensionnés est en forte hausse et la population en âge de travailler est en déclin. Et cette tendance est structurelle. On doit ainsi s’attendre à une hausse de 60% du nombre de pensionnés par rapport à la population en âge de travailler entre 2000 et 2040. On doit donc s’attendre à ce que le nombre de personnes qui prélèvent dans le pot commun augmente par rapport au nombre de personnes qui contribuent au pot commun. Une solution possible pour limiter cet effet est d’accroitre le taux d’emploi pour élargir l’assiette de cotisation parmi la population en âge de travailler. C’est une promesse de notre gouvernement.
Le second défi du financement concerne l’effet de Noria des pensions. Cet effet se manifeste par le remplacement progressif des anciens pensionnés avec des petites pensions par des jeunes pensionnés avec des pensions plus élevées. On observe donc une hausse de la pension moyenne qui est elle-même renforcée par les revalorisations progressives des dernières années. En combinant ces deux effets on obtient une hausse des dépenses de pension deux fois plus rapide que la hausse des cotisations (évoluant au même rythme que le PIB). Le trou dans la sécurité sociale se creuse donc de manière structurelle et l’on doit prélever dans le budget de l’Etat pour combler le trou. Comme les autres besoins doivent continuer à être satisfait, on engrange des déficits budgétaires à répétition qui creusent notre endettement. La question qui se pose donc est comment maitriser nos dépenses de pensions à l’avenir sans remettre en question les droits passés ? Est-il possible de réformer progressivement et sans rupture avec le passé notre régime de pension. La bonne nouvelle est que c’est possible à condition de s’y prendre tôt avec un effort modéré, proportionné mais soutenu de tous. Quel est donc ce mécanisme ?
Les atouts d’une réforme de l’indexation
En fait nous disposons de deux ajustements distincts. Réduire le taux d’acquisition ou réduire le taux d’indexation. Réduire le taux d’acquisition est équivalent à augmenter la durée de carrière requise pour obtenir une pension à taux plein. C’est la solution la plus souvent invoquée dans les discussions sur la réforme des pensions. C’est aussi la solution qui suscite beaucoup de résistance en France avec un report de l’âge de pension de 62 à 64 ans motivé par le souci de soutenabilité financière. Un ajustement moins agressif par une réforme de l’indexation a des effets très différents. En effet, les pensionnés ne sont pas affectés par une réforme du taux d’acquisition (allongement des carrières) puisque leurs carrières sont derrière eux. Tout la charge de l’ajustement repose donc exclusivement sur les travailleurs et les jeunes générations. On comprend donc la résistance des travailleurs à cette réforme. A contrario, une réforme de l’indexation rééquilibre la charge de l’ajustement sur tous (y compris les pensionnés) ce qui réduit de facto l’effort demandé pour chaque personne encore en activité.
Nous avons simulé les effets prospectifs de différentes réformes sur base des projections du bureau fédéral du plan en matière de population et d’emploi entre 2020 et 2060.[1] Nous considérons une réforme immédiate, proportionnée et soutenue en 2020. Cette réforme consiste en un ajustement soit du taux d’acquisition soit du taux d’indexation pour le calcul des droits futurs de pension (avec préservation des droits passés) en garantissant que la pension nominale ne baisse jamais. L’ajustement est calculé de sorte à retrouver une trajectoire d’équilibre.
La bonne nouvelle
La bonne nouvelle est qu’il est possible de revenir sur une trajectoire d’équilibre par une indexation partielle à 98% de la hausse du salaire nominale. Cela est possible à condition aussi d’atteindre conjointement l’objectif de 80% de taux d’emploi. Une autre bonne nouvelle est que l’ajustement progressif par une indexation partielle permet une répartition équilibrée de l’effort entre cohortes. En effet une réforme par l’indexation fait peser 65% du coût de la réforme sur la moitié la plus jeune de la population contre 85 % si l’on ajuste par le taux d’acquisition. Il est important de noter le coût de l’inaction pour les plus jeunes. Ainsi en cas de report de 10 ans de la réforme, c’est 75% de l’effort d’ajustement qui est supporté par la moitié la plus jeune en cas de réforme de l’indexation contre 92.5 % en cas de réforme du taux d’acquisition.
Nos simulations révèlent un autre aspect remarquable d’une réforme de l’indexation : elle permet une maitrise plus rapide de la hausse des dépenses de pension. La réforme de l’acquisition a un effet différé sur les dépenses de pensions en agissant exclusivement sur les nouveaux pensionnés. En agissant sur l’ensemble des pensionnés, la réforme de l’indexation a un effet instantané plus efficace pour enrayer la croissance des pensions. C’est un avantage important dans le contexte actuel de dégradation de notre déficit budgétaire et du risque d’emballement de notre endettement.
Un dernier aspect remarquable de la réforme de l’indexation est qu’elle garantit à tous les futurs pensionnés une pension plus élevée que la réforme de l’acquisition. Ce résultat est lié au fait qu’une réforme de l’indexation déplace la charge de l’ajustement en partie sur les pensionnés d’aujourd’hui. Ces pensionnés représentent près de la moitié des actifs d’aujourd’hui. Ce transfert de charge permet de verser des pensions plus élevées aux futurs pensionnés.
Il est donc envisageable de pouvoir prendre sa pension sans prendre celle de ses enfants en acceptant une réforme de l’indexation immédiate et soutenue.
[1] Pour plus de détails, voir Arno Baurin & Jean Hindriks « Conséquences de réformes graduelles des pensions selon les classes d’âge », Revue Bancaire et Financière, à paraître.
Publié dans La Libre 28/03/2023