Nos CPAS valent mieux qu'un simple refinancement
Les cinq présidents de CPAS des plus grandes villes du pays ont lancé un cri d'alarme dans une carte blanche parue le 7 septembre 2023 sur le site du Soir, indiquant le débordement des CPAS face à la montée de la précarité et pauvreté sous des formes diverses. Les auteurs de la carte blanche ci-dessous partagent ce constat, mais, expliquent-ils, pas la solution invoquée d'un refinancement généralisé des CPAS.
Plusieurs éléments indiquent que la situation sociale se dégrade dans notre pays. Pour certaines parties de notre population, il devient de plus en plus difficile de se loger, se soigner, trouver une école de qualité pour ses enfants, nouer les deux bouts. Dans de nombreux CPAS, et pour de nombreux autres acteurs sociaux publics ou associatifs, la pression est donc croissante. Souvent le découragement gagne. Ce sont des faits : le contester relèverait de la mauvaise foi ou du déni. Pour autant, l'appel au refinancement nous paraît passer à côté de trois éléments cruciaux.
La diversité des situations locales
Tout d'abord, les chiffres globaux sont trompeurs. Ainsi, s'il est vrai que le nombre de personnes disposant du Revenu d'Insertion Sociale (RIS) augmente globalement sur la longue durée – il a doublé en quinze ans – il est par contre globalement stable depuis début 2021.
Pour autant, il y a des poussées fortes dans certaines villes. Les besoins et accroissements les plus importants d'aide sociale sont observés dans les grandes villes et les villes moyennes. On le constate notamment au nombre de RIS : il est attribué à moins de 0,5 % de la population à Burdine ou Verlaine, 1,5 % à Gembloux ou 2 % à Nivelles, 4,3 % à Namur ou 5,1 % à Bruxelles-ville. Une autre indication de cette divergence se trouve dans la hausse de dotation des communes aux CAPS : +16 % dans les grandes villes, pour +8 % dans les villes moyennes. Cette dotation, qui sert à combler les déficits des CPAS, est stable en moyenne dans les autres communes.
La différence par taille de villes se retrouve en Flandre, mais bien plus bas ; le taux de RIS à Anvers est de 1,7 %, pour 0,3 à Westerlo. Les différences régionales doublent donc celles des villes : 3 fois plus de personnes disposent du RIS en Wallonie (1,96 %) qu'en Flandre (0,58 %), et 6 fois plus à Bruxelles (3,64 %). Puisque la situation est très variable selon les lieux, en appeler à la solution unique du refinancement est simpliste et inadéquat.
Un déficit de coordination
Ensuite, l'appel passe sous silence un déficit d'intégration des CPAS et communes francophones. Depuis plusieurs années, poussées par une évolution législative, ces institutions ont fait un chemin considérable pour se professionnaliser et assumer leur rôle. Néanmoins, il existe en régions wallonne et bruxelloise un éléphant dans la pièce que personne ne souhaite importuner : la séparation entre CPAS et services communaux.
En Flandre, depuis le décret « administration locale » du 1 er janvier 2019, les CPAS et les communes sont intégrées dans une seule entité. L'objectif est d'allier les forces pour mieux réaliser les missions sociales avec une approche plus orientée vers le bénéficiaire, ainsi qu'une accessibilité accrue aux services. Ce processus d'intégration a pris source en 2004 sous l'effet d'un décret relatif à la politique sociale locale qui donna lieu à la création des « sociale huizen » (maisons sociales). Aujourd'hui, les services proposés dans ces bâtiments gérés conjointement par le CPAS et les pouvoirs communaux ne se limitent pas seulement à de l'aide financière. La maison sociale est le point de contact et le bureau d'information où les citoyens peuvent se rendre pour poser toutes leurs questions sur les services sociaux. Une véritable offre de services intégrés y est disponible : les services communaux, le Woonwinkel pour trouver un logement décent, la Maison de l'enfant, l'agence pour l'emploi VDAB… L'idée derrière ce concept de guichet unique est de faciliter l'accès aux services sociaux sans l'effet stigmatisant potentiel d'un CPAS : on peut se rendre dans une maison sociale sans être inscrit au CPAS.
En Wallonie et à Bruxelles, le maintien du caractère bicéphale de l'aide permet souvent un partage du pouvoir, même lorsque des tentatives de rapprochement se font localement. On se souvient qu'un projet de fusion de l'action sociale à la flamande a été inscrit dans la DPR wallonne de 2014, mais fut enterré un an plus tard par le PS. On y trouve le même ressort que dans la réticence des élus au rapprochement des communes entre elles. La sagesse de la revendication ne passerait-elle pas d'abord par sa capacité à rassembler les forces d'action sociale ?
Une méthode inadaptée
Enfin, la pauvreté est un problème systémique qui nécessite une action elle aussi systémique. Réclamer davantage de moyens pour faire plus de la même chose ne changera fondamentalement rien à la situation, ni celle de la population la plus pauvre et vulnérable, ni celle des CPAS.
La pauvreté est un cercle vicieux. Les problèmes de revenu, santé, logement, formation, isolement… se confortent les uns les autres. Comment se concentrer sur un travail quand on risque d'être expulsé de son logement ? Ou accompagner correctement ses enfants quand on est pris dans la détresse de l'isolement ?… À l'inverse, une situation personnelle rassurante et un accompagnement spécifique peuvent permettre à des personnes de se relancer, d'entrer dans une spirale cette fois positive. Nous avons documenté cela dans notre étude Itinera sur la pauvreté, menée entre autres par des entretiens de terrain et l'analyse de bonnes pratiques.
Pourtant, l'appel ne dit rien des causes profondes de la pauvreté. Or, on peut considérer que les CPAS, acteurs majeurs, doivent agir le plus possible pour contribuer à prévenir les maux, et pas seulement mettre des sparadraps sur les plaies. Il ne s'agit pas seulement de contenir la pauvreté, mais il faut la prévenir et la combattre.