Vers l'aperçu

Elections 2014 - Education: Du décrochage scolaire au progrès personnel et à la participation économique

Le décrochage scolaire est au centre des attentions. Il faut rappeler l'importance de le traiter en amont : quand l’élève entre à l’école et lorsque l'élève est à l'école. Une attention focalisée sur le progrès de chaque élève et une comparaison de performance entre écoles peut réduire le risque au « décrochage intellectuel » qui avance le décrochage scolaire: prévention. Il faut aussi dépasser la distinction binaire entre diplômé et non-diplômé : il faut revaloriser le rôle de l’école comme tremplin vers la participation de la personne dans la vie économique de notre pays. On peut ainsi non seulement réduire le décrochage mais le redéfinir et limiter ses conséquences. On peut être formé sans être diplômé : en revalorisant le pont entre l’école et le monde du travail on peut à la fois éviter le décrochage et répondre à la pénurie de talents dans certains secteurs de notre économie.



Les résultats de l’enquête PISA font toujours couler beaucoup d’encre. De nombreux chercheurs s’accordent pour souligner la prudence de mise pour la lecture du classement des performances moyennes et leur évolution au fil des enquêtes triennales. Au sein d’un même pays (ou d’une communauté linguistique en Belgique), il est intéressant d’étudier l’inégalité de performance entre établissements.



Mais tout cela nous ferait presque oublier l’échantillon sur lequel portent les études PISA. Il s’agit d’un groupe d’élèves[1] de 15 ans scolarisés (quelle que soit leur année d’étude). L’enquête ne porte pas sur les élèves qui ont quitté le système scolaire, et n’atteint qu’une partie des élèves en décrochage scolaire (c.-à-d. souvent absents sans justification). S’ils n’apparaissent pas dans le rayon de balayage du radar PISA, il ne faut pas les oublier pour autant.



Le taux de décrochage scolaire est défini comme la part de personnes âgées de 18 à 24 ans qui ont le niveau de l'enseignement secondaire inférieur ou un niveau moins élevé et sont sorties du monde de l'éducation ou de la formation (Eurostat/Enquête sur les forces de travail).



Le taux de décrochage scolaire en Belgique diminue; il est passé de 18,1% (de la population dans la tranche d'âge 18-24 ans) en 1992 à 14,1% en 2002 puis 12% en 2012. Le décrochage est plus élevé dans les centres urbains. La Région Bruxelles Capitale a ainsi un taux de décrochage scolaire de 20,1% (Eurostat 2013), ce qui est plus élevé que dans les autres régions du pays. La Flandre a le taux le moins élevé, mais présente un profil très hétérogène, avec des niveaux de décrochage très différents, même lorsqu’on ne compare entre elles que les grandes villes flamandes. En 2010, Antwerpen avait le taux de décrochage le plus élevé, avec 28%, alors que Roeselare avait le taux le plus bas, avec 11%[2].



Si le décrochage scolaire est un phénomène complexe, dont les origines sont diverses, l’abondante littérature qui traite de ce thème semble s’accorder sur deux points. Il ne dépend pas exclusivement de l’élève et il faut, pour le résorber, privilégier une intervention en amont, lorsque l’élève est encore scolarisé, plutôt que lorsqu’il a décroché.



Comme en témoigne la coordinatrice du Dispositif d’accrochage scolaire (DAS) de la Région bruxelloise : « Une dérive est apparue dans le fait qu’on a décelé que le décrochage intellectuel menait à un décrochage scolaire et il est plus difficile d’y remédier pour le DAS dans la mesure où il faudrait intervenir dans les temps scolaires, qui relèvent de la compétence de l’enseignement. »[3]



Ce « décrochage intellectuel » - aussi appelé « décrochage intérieur » par certains auteurs - pourrait être largement atténué en nourrissant de sens concret les enseignements dispensés. Surtout à la fin de l’enseignement primaire et au début de l’enseignement secondaire, les élèves expriment les premiers signes de démotivation voire de désespoir. Un soin particulier doit être accordé à la conception de cours dans lesquels la curiosité naturelle au cœur de tous les élèves trouvera écho: différencier les méthodes en fonction des élèves et de la classe ; donner plus de sens aux enseignements en donnant les moyens aux enseignants de penser leurs cours en groupe pour échanger les idées et les pratiques et générer un cours qui apportent de la fraîcheur dans leur quotidien et qui est susceptible de susciter l’intérêt des élèves.



Au lieu d’une réforme structurelle, nous pensons qu’une amélioration des méthodes et des pratiques est la seule garante d’une réduction durable du décrochage scolaire. Pour pouvoir améliorer les pratiques, les écoles doivent connaître leur capacité à maintenir dans le milieu scolaire et à former de manière ininterrompue leurs élèves. Une comparaison des performances académiques entre écoles est à proscrire[4]. La performance globale d'un établissement n'est qu’un des nombreux critères qui permettraient à une équipe pédagogique d’apprécier la qualité de son travail. Même si d’autres critères sont décrits, s’instaurera irrémédiablement un classement sur cette seule base de la performance qui présente cette caractéristique (par rapport à d’autres critères) d’être quantitative. Si la compétition a un effet faible ou nul sur l’amélioration des rendements, elle accentue par contre la ségrégation sociale et par là, génère des inégalités[5].



Si nous repoussons l’idée d’un classement des établissements scolaires, nous ne défendons pas moins la responsabilité des pouvoirs organisateurs dans l’amélioration des pratiques pédagogiques dans les établissements qu’il organise. À cet égard, il serait beaucoup plus utile de mesurer les progressions des élèves au sein de chaque école. Cela permettrait d’identifier la valeur ajoutée d’une école (entre l’entrée et la sortie d’un élève dans une école, quelles compétences a-t-il développées ?) et les bonnes pratiques des enseignants.



Le phénomène du décrochage scolaire peut donc être nuancé et ne plus être ramené à la seule distinction binaire entre diplôme ou pas de diplôme. Cela nous permettra aussi de mieux comprendre les différences entre les écoles, et entre les élèves d’une même école, et offre en outre un regard pédagogique différent sur la même problématique. Délivrer un diplôme n’est pas nécessairement ou pas toujours la caractéristique d’une bonne école.



L’instauration du Tabor l’an passé est un premier pas dans cette direction. (« Ce tableau est remis depuis un an à toutes les écoles à titre confidentiel. [...] il donne tous les indicateurs individuels de chaque établissement : le nombre d’élèves, le nombre d’enseignants, les options, le taux de réussite des élèves à chaque épreuve certificative, les indices socioéconomiques de l’école, etc. C’est donc un très bon outil d’auto-évaluation de l’école.[6] ») Mais c’est insuffisant : l’évaluation des pratiques doit s’immiscer dans les classes ! À cet égard, il faut miser en priorité sur les enseignants eux-mêmes. Une formation spécifique permettrait à l’enseignement de réellement « porter un regard réflexif sur sa pratique [...] »[7].



Il est en outre « essentiel que l’enseignement professionnel dans le cycle supérieur du secondaire soit encore plus développé et renforcé, afin qu’il puisse (continuer à) faire office de ‘filet de sécurité’ efficace contre le décrochage scolaire. » Il y a effectivement un important effet négatif au niveau du décrochage scolaire précoce si le fait d’avoir des qualifications offre une protection efficace contre le chômage.[8] L’enseignement n’est pas en soi capable de remédier à de profonds problèmes sociétaux et sociologiques, et l’enseignement secondaire ne peut en soi remédier à un arriéré scolaire qui s’est bien souvent construit dès l’entrée à l’école.



Une plus grande attention à la progression individuelle représente dès lors un pas dans la bonne direction et permettra en outre de réduire le décrochage scolaire ‘intellectuel’ des élèves à problèmes. Mais ces derniers doivent également pouvoir être aidés avec les possibilités de passage entre écoles et hors des écoles. Il est important de s’interroger sur le rôle de l’école en tant que tremplin vers la participation à la vie économique. Si nous mettons l’accent moins sur le diplôme et plus sur les connaissances et les compétences, ainsi que sur les mécanismes qui, à partir de l’école, permettent d’utiliser ces compétences dans la vie économique et sociale, nous pourrons combattre beaucoup d’effets du décrochage scolaire sans avoir pour autant à organiser la délivrance absolue de diplômes.



Au final, la problématique du décrochage scolaire nous oblige à une profonde réflexion sur le rôle de l’enseignement et des écoles proprement dites, et sur les passerelles qui existent entre l’école et le marché de l’emploi. Les écoles sont également capables de former sans nécessairement délivrer de diplôme, pour autant qu’elles amènent l’élève avec un bagage suffisant jusqu’au premier échelon de sa carrière. Ces dimensions du problème sont restées trop longtemps sous‑exposées. Si elles sont mises en avant, le décrochage scolaire pourrait être une partie de la solution à un autre problème : l’amélioration des passerelles entre l’école et le marché du travail. Cette passerelle a évidemment deux côtés. Il faudra aussi adresser celui du marché de l’emploi, notamment les politiques de recrutement et de sélection.



Le phénomène des professions en pénurie est bien connu, tout comme le fait que de nombreux employeurs dans des secteurs techniques doivent consentir eux‑mêmes de gros efforts de formation lorsqu’ils engagent de nouveaux collaborateurs. Améliorer de façon stratégique la fonction de passerelle entre l’école et le marché du travail, permettra dans la foulée de réduire efficacement le décrochage scolaire, en proposant à ce même groupe d’élèves des alternatives adaptées et utiles au parcours scolaire formel : un grand win-win.



Lisez le rapport complet



[1] 8600 environ pour la Belgique



[2] Van Landeghem, G. et al., Vroege schoolverlaters in Vlaanderen in 2010. Indeling volgens locatie, opleidingsniveau van de moeder en moedertaal, Steunpunt SSL, Leuven, 2013.



[3] Le dispositif d'accrochage scolaire de la Région bruxelloise, Pascale Labiau, in Décrochage scolaire, comprendre pour agir, Pour la Solidarité asbl, 2007.



[4] Ce qui est déjà garanti par le décret du 27 mars 2002 relatif au pilotage du système éducatif, art. 3.



[5] Maroy, C., Pourquoi et comment réguler le marché scolaire ? Les Cahiers de recherche en éducation et formation, 55, mars 2007, p. 3.



[6] ibid.



[7] Treizième compétence de l’enseignant dans le décret définissant la formation initiale des instituteurs et des régents, Gouvernement de la Communauté française, 12 décembre 2000.



[8] Lavrijsen, J., Nicaise, I., Parental background and early school leaving, The impact of the educational and socio-economic context, Studie- en schoolloopbanen, 2013.