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Elections 2014 - Education: Plus d’ambition pour les écoles difficiles

Si les décrets successifs "inscriptions" et "mixité sociale" ont tenté d'y remédier, la ségrégation scolaire reste élevée. Il y a encore des écoles “difficiles” dans lesquelles une implication et une attention encore plus soutenues des enseignants est nécessaire. Il est impératif d’identifier, de motiver et de maintenir dans ces écoles des enseignants expérimentés et préparés à ce contexte. Le gouvernement peut le faciliter dans sa réglementation et son financement, tout en identifiant des objectifs et en récompensant les résultats. Aux directions d’écoles pour le réaliser sur mesure.

Les décrets successifs visant une plus grande mixité sociale ont rencontré un problème majeur. Ils n’ont favorisé la mobilité des populations scolaires qu’à sens unique. Si les élèves de milieux défavorisés ont pu (dans une certaine mesure) s’inscrire dans des écoles réputées, les parents de milieu aisé ne placent pas sereinement leurs enfants dans des établissements scolaires encore aujourd’hui entachés d’une mauvaise réputation.

L’enseignement différencié vise à renforcer la qualité pédagogique dans ces écoles[1]. Du côté francophone, « Nous disposons maintenant du recul suffisant pour évaluer les résultats du financement différencié dans les écoles. L’étude démontre que le redoublement en secondaire entre 2009 et 2012 dans ces écoles est en augmentation; le retard scolaire d’au moins un an est également très largement en augmentation; le nombre d’élèves en décrochage scolaire croît de 20 % pour la période de référence entre 2010-2011 et 2012-2013[2]. » Du côté flamand, en 2003-2004, 16% seulement des élèves GOK dans des écoles à financement différencié ont bénéficié des encadrements supplémentaires.[3]

L’augmentation du nombre total de périodes-professeurs (NTPP) ne suffit pas à atteindre l’objectif de l’enseignement différencié ; il faut aussi attirer (ou simplement maintenir) l’équipe éducative qui va participer au changement du profil d’une école défavorisé. Or «  [...] une des raisons pour lesquelles les établissements d’enseignement accueillant un public plus défavorisé dans l’enseignement secondaire connaissent des taux de turnover sensiblement plus élevés est que ces établissements recrutent, en moyenne, des enseignants ayant tendance à connaître une mobilité plus importante sur le marché du travail, parce qu’ils sont novices ou n’ont pas de titre pédagogique, et travaillent donc plus souvent dans des conditions d’emploi plus précaires (Delvaux et al., 2013). »

 

Taux de renouvellement annuel

Taux de renouvellement annuel des novices (< 5 ans d’ancienneté)

Niveau fondamental

20,56 %

49,65 %

Niveau secondaire

16,69 %

32,32 %

Graphique xx : moyenne des indicateurs de renouvellement, selon le niveau d’enseignement. Source : Dumay, 2014.

Pour l’enseignement flamand, la situation à Bruxelles est particulièrement problématique. En effet, 42 pour cent des enseignants qui débutent à Bruxelles n’y donnent plus cours après cinq ans ; 18 pour cent d’entre eux quittent le secteur de l’enseignement, et 24 pour cent continuent mais en dehors de Bruxelles. L’hémorragie de personnel enseignant à Bruxelles est d’environ 35 pour cent pour l’enseignement maternel, environ 42 pour cent pour l’enseignement primaire, et environ 48 pour cent pour l’enseignement supérieur[1].

Nous nous trouvons donc devant une situation très paradoxale : les écoles avec des populations d’élèves qui demandent plus d’implication de la part des enseignants ont souvent plus de problèmes au niveau de l’effectif d’enseignants. Il n’existe pas de baguette magique pour remédier à cette situation problématique. Il faut une stratégie qui commence à la base : au niveau par exemple de l’intégration civique, de l’enseignement de la langue, du rôle des parents, de l’entrée en maternelle, etc. Nous vivons dans un pays dont la constitution garantit de grandes libertés, y compris en matière d’enseignement, de logement et de travail. De ce fait, les écoles reflèteront toujours un certain profil démographique et sociologique, et les enseignants auront toujours tendance à vouloir obtenir une place dans les écoles les plus intéressantes à leurs yeux. Tant au niveau de la réglementation qu’au niveau du financement, nous devons surtout veiller à ce que tout soit fait pour que, avec un bon soutien, des enseignants de qualité viennent donner cours dans les écoles réputées difficiles.

Les écoles présentent aujourd’hui une grande variété de niveaux de compétences (en considérant la formation initiale et l’expérience) des enseignants. Toutes les écoles et surtout toutes les filières devraient avoir au moins un même niveau minimal de « professionnalisation » dans leurs équipes ou, inversement, un même taux de novices et d’enseignants dites « article 20 », si du moins elles veulent toutes attirer des élèves de toutes les classes socio-économiques.

Les conséquences du renouvellement du personnel sont multiples et pèsent lourdement sur le fonctionnement de l’école :

  • Les cours annulés : il est évidemment impossible à un enseignant de prédire la date à laquelle il devra arrêter le travail, même lorsque cet arrêt est dû à un épuisement professionnel. Lorsque les enseignants déposent dans leur école des activités et des travaux à réaliser par les élèves en leur absence, il s’agit le plus souvent de quelques périodes, au plus une demi-journée de travail (et on peut mettre en doute l’efficacité d’un encadrement par une autre personne qui a certainement un profil moins adapté que l’enseignant lui-même). « Dans les écoles à discrimination positive, les absences des professeurs et des élèves ont des conséquences sur le nombre d’heures de cours donné. Sur une scolarité qui dure six ans, on estime à un an le retard de matière dû à ces absences. »[2]
  • Le temps consacré à la sélection des remplaçants : l’annulation de ces cours dure aussi longtemps qu’est envisageable un retour rapide de l’enseignant en arrêt de travail. Ce n’est que lorsqu’un repos prolongé est confirmé que la direction de l’établissement scolaire entreprendra la recherche d’un(e) remplaçant(e). Le temps que la direction consacrera (au recrutement et) à la sélection aurait été plus bénéfique à l’institution s’il avait été investi dans l’amélioration des pratiques pédagogiques, par exemple. Il appert que le renouvellement des enseignants pèse sur tout l’établissement, jusqu’à la direction.

 

  • La discontinuité de l’enseignement : lorsqu’un(e) enseignant(e) prend la relève, il/elle se retrouve face à des élèves qu’il/elle ne connaît pas. Il serait naïf de considérer que l’enseignement peut reprendre dans la droite ligne de l’enseignement qui a précédé. Au minimum, il « rafraîchira » la mémoire des élèves et observera leur niveau de maîtrise des compétences développées avant l’abandon de son collègue. Plus généralement, la pratique pédagogique et l’attitude de l’enseignant vis-à-vis des élèves peut présenter une telle différence qu’elles creusent davantage le sentiment de discontinuité.
  • L’image de l’École auprès des élèves : malgré la bonne volonté des acteurs de terrain, les élèves n’auront pas le sentiment d’être encadrés par une École performante et formatrice. Cela porte préjudice tant aux élèves dont la motivation s’étiole qu’à l’institution dont les réalisations ne résonnent pas avec les promesses. Concrètement, les élèves sont délaissés. Avant de chercher à motiver les élèves en classe (voir recommandation suivante), il faut éviter de leur montrer l’image d’une école où on les oblige à s’ennuyer.

Une école qui compte de nombreux novices dans son équipe éducative n’est donc pas seulement confrontée à un défi pédagogique (la qualité de l’enseignement est moindre) mais aussi à un défi administratif (le taux de renouvellement est élevé). « Plus un établissement [secondaire] emploie de diplômés pédagogiques, et moins il emploie d’enseignants novices, moins il connaît des taux élevés de turnover[3]. » C’est particulièrement remarquable à Bruxelles où l’introduction de ces deux variables réduit de manière significative l’effet de la composition socioéconomique sur le taux de renouvellement[4]. Bref, la qualification et l’expérience permettent de réduire le renouvellement des enseignants[5], même dans les établissements au public défavorisé.

Si on entend résorber l’écart de performance entre établissements scolaires, il faut donc réussir à avoir dans les établissements socio-économiquement défavorisés au moins la même portion de personnel qualifié qu’ailleurs. Il ne suffit pas de motiver les novices à rester dans ces établissements après leurs premières années d’expérience. (On peut raisonnablement penser que les directions mettent tout en œuvre pour « stabiliser » leur équipe éducative.) Il faut aussi attirer des enseignants qualifiés et expérimentés dans ces écoles.

Aussi longtemps qu’existeront des écoles « ghettos », il faudra admettre la pénibilité du contexte de travail et la difficulté du défi pédagogique des enseignants qui y travaillent. Une formation et un encadrement spécifiques, par des enseignants qui ont acquis de l’expérience dans ces établissements, semblent inévitables, surtout pour les diplômés universitaires, qui ont peu d’expérience pratique.

L’instauration d’une prime de surcharge (ou de pénibilité), à puiser dans le nombre supplémentaire de périodes-professeurs accordé à l’enseignement différencié, pourrait être accordée. En particulier, il faut veiller à ce qu’une telle prime soit allouée exclusivement aux enseignants qui donnent cours dans les classes où le statut socioéconomique des élèves est faible (et où on attend un investissement plus lourd de l’enseignant : attention soutenue aux difficultés des élèves, contact régulier avec les parents, etc.). Puisque l’objectif est de réduire le fossé entre écoles privilégiées et écoles défavorisées, chaque pas dans cette direction participera à réduire le montant de ces primes au fil du temps.

Il n’existe pas non plus de solution instantanée ou standard à ce qui est une profonde réalité sociétale : l’école n’est pas ce qui va résoudre tous les différences sociales et tous les problèmes de la société. Chaque solution devra dès lors aussi être locale, partir de la base vers le haut (bottom‑up), et répondre aux besoins spécifiques de chaque réalité. La première tâche des pouvoirs publics est de définir le cadre et de libérer les moyens nécessaires. Quant aux directions d’écoles, leur tâche consiste à utiliser ces règles et ces moyens de façon à obtenir des résultats. La deuxième tâche des pouvoirs publics est de déterminer des objectifs à ce niveau, puis de mesurer et de récompenser les résultats obtenus. Cela permettra de créer des spirales positives susceptibles de faire progressivement contrepoids et qui, avec le concours d’autres niveaux politiques, peuvent contribuer à améliorer ce qui est et reste un problème global de société.