Vers l'aperçu

L'Euro: une des plus grandes catastrophes économiques de l'histoire monétaire?

Les lendemains de l'euro allaient chanter. Ils ont déchanté.



Pour Paul Krugman, prix Nobel d'économie, l'euro est: one of the great catastrophes of economic history, c'est-à-dire une des (plus) grandes catastrophes de l'histoire économique (New York Times, août 2014). Le prix Nobel d'économie Milton Friedman avait prédit en 1997 que l'absence d'unité politique serait exacerbée par la création de la monnaie unique. Il n'avait probablement (et tristement) peut-être pas tort.



Paul Krugman a, pour partie, raison nonobstant le fait que nous resterons dans la zone euro car il est impossible, pour notre devise, de s'extraire d'elle-même. L'euro survivra, sauf chocs politiques majeurs, mais des erreurs majeures de conception sont incontestables et elles vont s'exacerber. Les temps mauvais de profonds ajustements macroéconomiques structurels sont devant nous.



L'euro ne correspond pas à une zone monétaire optimale, caractérisée par la fluidité des facteurs de production et une spécialisation industrielle ou des services adéquate.



Ce fut une décision essentiellement politique, déclenchée par la réunification allemande qui dut en payer le prix contre la perte de sa souveraineté monétaire. L'argument de la paix en Europe assurée par l'euro fut un leurre grossier : l'Europe vieillissante était en paix et nucléarisée. L'Allemagne était (et est toujours) démilitarisée. D'ailleurs, les guerres furent toutes périphériques à l'Europe. 



L'euro ne fut bâti sur aucune union fiscale et budgétaire, chaque pays gardant sa souveraineté individuelle. Pire, l'euro fut un effet d'aubaine, permettant, dans un premier temps, à l'Allemagne de ne plus devoir réévaluer le Deutsche Mark tandis que les pays du Sud européen virent leurs taux d'intérêt fondre, comme s'ils empruntaient eux-mêmes en Deutsche Marks.



Lors de la crise, la seule réponse politique fut l'austérité qui entraîna une spirale récessionnaire dans le Sud de l'Europe avant que la tendance déflationniste ne soit exacerbée par la politique monétaire à contretemps de la Banque Centrale Européenne.



Ce ne furent qu'erreurs sur erreurs, pourtant dénoncés par des économistes réputés. Les mêmes erreurs que celle que commit Churchill en restaurant la parité ancestrale de la Livre Sterling à l'or dans des conditions insupportables en 1925, que celles des programmes d'austérité qui suivirent la crise de 1929, que la fondation du bloc-or, similaire à l'euro, en 1933, etc.



Au reste, les faits ne mentent pas : le PIB de la zone euro, depuis le début de la crise, est plus bas que ce qu'il fut, au même nombre d'années près, lors de la déflation japonaise, de la réévaluation de la livre sterling ou du bloc-or.



Deux risques m'apparaissent sous-estimés.



Le premier est d'ordre monétaire. La monnaie unique a été adoptée sans que la zone euro ne soit préparée à être un espace monétaire optimal, caractérisé par une harmonisation budgétaire et fiscale et une mobilité des travailleurs.



Le second risque est de nature politique. L'euro n'est plus un projet socialement fédérateur et il est même source de profonds ressentiments sociaux dans les pays du Sud. L'atténuation de ce risque social était opérée, dans le passé, par la dévaluation. Or ces outils ne sont plus accessibles. En rigidifiant la monnaie, on doit, en effet, accepter que d'autres paramètres deviennent mobiles. Il est donc théoriquement possible que l'euro se transforme en un facteur de déstabilisation. Il y aura donc des rééchelonnements de dettes publics dans les pays faibles, incapables de les rembourser avec une devise trop forte.



En 1998, 150 économistes allemands – et non des moindres- avaient écrit une lettre ouverte, largement médiatisée, demandant un report de l'euro au motif que les fondations budgétaires et fiscales n'étaient pas réunies. Ils mettaient en évidence que les pays devaient d'abord flexibiliser leurs économies et consolider leurs budgets publics. Ils avaient même supputé qu'on eut dû confiner l'euro à un nombre plus restreint de pays. Ils avaient évidemment raison, mais les objections de ces esprits chagrins furent écartées d'un lapidaire revers de main.



Si l'euro a cours légal, ce dernier n'est plus sociétal. La devise est unique, mais plus commune. L'euro est devenu une monnaie génétiquement déflationniste et nous tombons peut-être dans un piège à la japonaise, c'est-à-dire celui d'une monnaie forte assortie d'un manque d'inflation et d'une croissance insuffisante.



Certains concluront que l'euro est le projet d'une génération et qu'il est trop tôt pour en faire le bilan. Peut-être. Le tout est de savoir quelle génération en aura été la bénéficiaire et quelle en sera la perdante. Ce sera la preuve ...par le futur.