Vers l'aperçu

(Re)mettre le PNEC au milieu du village

En juin 2023, la Belgique a failli à son devoir en tant qu'État membre de l'Union européenne : elle a consciemment omis de soumettre à la Commission européenne un rapport de progrès sur son « PNEC », son Plan National intégré pour l'Énergie et le Climat 2021-2030, avant la date butoir. Il s'en est suivi une absence quasi-totale de débat public sur ce manquement (en presse francophone, deux articles furent publiés), ainsi que sur le PNEC de manière plus large. Ceci est tout aussi inquiétant que la raison de ce manquement (sans surprise, un désaccord entre fédéral et entités fédérées).

Carte blanche par Magali Van Coppenolle, fellow Itinera

Si la neutralité carbone en 2050 (1) est la destination, le PNEC, c'est une feuille de route qui détaille toutes les initiatives que la Belgique a décidé de mettre en place pour atteindre ses objectifs, tels qu'inscrits dans le cadre législatif belge (2). Un PNEC bien fait, c'est donc un plan de transition : un plan économique, industriel et sociétal.

Pourquoi avons-nous besoin d'un plan ? Parce que tout comme l'équilibre budgétaire, la neutralité carbone est une équation : d'un côté la quantité d'émissions carbone que nous décidons de produire ou pas, et de l'autre les « puits » carbone qui absorbent le CO2 (dont l'exemple le plus simple reste un arbre). Et donc, tout comme l'équation budgétaire, l'équation carbone laisse ouvert le choix des moyens et des outils pour atteindre l'objectif de neutralité carbone.

Ainsi, non seulement une transition n'est pas l'autre, mais en plus les choix que nous posons maintenant sont plus importants que ceux que nous ferons d'ici quelques années quand notre marge d'action sera réduite. Au vu de l'ampleur et de la transversalité des changements économiques et sociétaux en jeu, les choix nécessaires à la transition doivent s'inscrire dans une logique démocratique. Citoyens, notre vie va fondamentalement changer et c'est maintenant que nous pouvons influencer ces changements !

Plus de démocratie pour une transition plus efficace

Aujourd'hui, non seulement le manque de débat et de choix démocratique autour du PNEC relève du véritable déficit démocratique, mais il nuit également à la qualité et donc l'efficacité du PNEC. En effet, sans mandat démocratique clair sur les grands principes de la transition belge, notre PNEC actuel (initialement soumis en 2019) (3) est un fatras de mesures sans cohérence. A priori, beaucoup de ces mesures sont également insuffisantes et « peu ambitieuses » selon la Commission européenne. Pire encore, notre PNEC est de telle piètre qualité que nous sommes le seul Etat membre pour lequel la Commission n'a même pas pu effectuer une évaluation robuste (4). Évitons l'écueil de la question institutionnelle : nous ne sommes pas le seul pays fédéralisé en Union européenne, nous sommes par contre le seul qui n'arrive pas à produire un plan national intégré. En bref, nous sommes l'un des plus mauvais élèves de la transition sans que cela ne pose débat dans notre pays et donc sans responsabilisation des décideurs politiques.

Trois pistes d'exploration

Trois pistes sont à explorer, de manière urgente, pour remettre les citoyens aux manettes d'une transition démocratique et efficace et mettre ainsi le PNEC au centre du village.

1. Rendre au parlement la souveraineté verte. Le contenu du PNEC est trop important que pour être élaboré dans les coulisses du gouvernement. Les parlementaires, représentants élus des citoyens, doivent être inclus dans le processus d'élaboration du PNEC, ne fût-ce que dans un cadre de débat.

L'avant-projet de loi climat, approuvé par le gouvernement en juillet 2023 (5), semble proposer un cycle annuel de gouvernance climatique allant en ce sens. Au-delà de cette proposition, le parlement doit également être inclus dans les moments clés du cycle européen biannuel du PNEC. Idéalement, avec un premier débat organisé au stade « draft » du PNEC, et ensuite des débats sur les recommandations de la Commission européenne (rendues sur base du « draft »), ainsi que sur la version finale du PNEC. Les aspects du PNEC qui relèvent des entités fédérées doivent suivre un processus similaire dans chacune des entités, avec des calendriers coordonnés.

2. Citoyens ! Aux urnes de la transition ! Il ne nous reste que 6 cycles électoraux avant 2050, et 2 avant 2030 (quand un premier objectif de réduction devra être atteint). En mai 2024, les citoyens, et parmi eux une grande majorité des écoliers des premières marches pour le climat de 2019 qui voteront pour la première fois, doivent pouvoir comprendre la vision de chaque parti pour la transition. En effet, en l'absence d'une proposition explicite des partis démocratiques de se retirer des accords internationaux et européens ainsi que de ses obligations légales belges, cela implique que chaque parti s'engage à atteindre la neutralité carbone en 2050. Chaque parti se doit donc d'expliciter aux électeurs comment il compte s'y prendre, ce qui ne fut pas toujours le cas par le passé.

Un pas de plus doit être franchi pour inciter les partis à clarifier leurs choix de transition et le Bureau Fédéral du Plan (BFP) peut jouer un rôle de super-héros du climat. En vue des élections fédérales de 2019, pour la première fois le BFP a rendu une évaluation indépendante de 3 à 5 priorités soumises par les partis (6). Ces analyses d'impact ont porté sur des dimensions économiques, budgétaires et re-distributives, ainsi que sur la mobilité et le réseau électrique. Analyses et méthodologie furent mises à disposition des citoyens via un site internet dédié « DC2019 ».

Dans la continuation de cet effort, et à partir des élections de 2024 car le temps presse, la transition écologique et énergétique doit impérativement figurer dans les priorités remises par les partis politiques au BFP. Ensuite, les évaluations du BFP doivent également inclure le bilan carbone de toutes les priorités proposées et la méthodologie de ce chiffrage doit faciliter une comparaison avec les objectifs climatiques belges (7).

3. Miser sur une force belge : l'expérimentation démocratique. Parmi les conditions, telles qu'exigées par l'Union européenne, pour l'élaboration d'un PNEC, il se trouve l'obligation d'une consultation publique obligatoire (8). Remettre le citoyen littéralement au cœur du débat via des outils de démocratie participative : voilà un domaine dans lequel la Belgique dispose d'une expertise pionnière. Citons, entre autres exemples, le modèle Ost-Belgien ou l'assemblée citoyenne pour le climat de la Région bruxelloise établie depuis début 2023.

Et pourtant… En 2019, le gouvernement organise une « enquête », plutôt tardive dans le processus de préparation, sur le PNEC (9), tout en expliquant que « lors de la réalisation de l'enquête, une représentativité de la population belge n'a pas été envisagée » (10). En 2023, la Ministre fédérale du Climat organise des tables rondes du climat, invitant experts et parties prenantes. L'avant-projet de loi climat quant à lui ne semble pas, à ce jour, contenir une proposition une assemblée citoyenne du climat au niveau fédéral.

Il est encore temps de modifier cet avant-projet de loi dans l'objectif de créer une assemblée citoyenne pour le climat organisée par le niveau fédéral. Au-delà des contributions d'experts et d'activistes, au-delà de l'enquête d'opinion, la Belgique pourrait se doter d'un outil efficace et pragmatique, augmentant les chances d'une adhésion plus large à la transition.

La transition sera démocratique, ou ne sera pas

Nous avons déjà été témoins des risques d'une transition technocratique, et non démocratique. En France, les premières manifestations des gilets jaunes s'organisent suite à une augmentation des taxes carbone en 2018, en dépit des avertissements de la Commission nationale du débat public sur un manque de consensus quant à la mise en œuvre de l'augmentation. En 2019, le parti néerlandais BoerBurgerBeweging est fondé en directe opposition au « Plan Azote » du Gouvernement Rutte – un plan qui n'avait pas emporté l'adhésion des principales parties prenantes, les agriculteurs.

Le risque d'une transition technocratique, c'est celui d'une transition qui, au mieux, se passe dans le conflit, et au pire, ne se passe pas du tout. Aujourd'hui, nous pouvons et devons faire mieux, d'autant plus que la Belgique innove en matière de démocratie. Mettons cette innovation au service du PNEC, et de la transition !

 

(1) De plus en plus d'études scientifiques démontrent que même cet objectif-là n'est probablement pas suffisant pour maintenir un réchauffement sous les 1,5 voire 2°C.

(2) Le cadre législatif belge est morcelé, comme en témoigne également « l'affaire Climat », mais un premier arrêté royal sur le développement durable est publié en 2013. La Wallonie a publié son propre décret sur le climat en 2014. La Belgique est également tenue par ses engagements européens (Green Deal européen qui inclut le paquet Fit for 55). La Flandre ne s'est pas dotée à ce jour de loi climat.

(3) Plan national énergie-climat 2021-2030.

(4) Voici donc la première phrase du rapport d'évaluation de la Commission Européenne (2020) : « La version définitive du plan national intégré en matière d'énergie et de climat (PNEC) de la Belgique est difficile à analyser, car le pays n'a pas suivi le modèle fourni dans le règlement sur la gouvernance de l'union de l'énergie et de l'action pour le climat. »

(5) Décisions des Conseils des Ministres des 2 avril et 8 octobre 2021. Également résumées dans le rapport des tables rondes sur le climat. Une annonce sur l'avant-projet de loi climat inclurait également ces décisions (texte non public).

(6) En vertu de la loi de 2014 sur le chiffrage par le Bureau fédéral du Plan des programmes électoraux, loi modifiée en 2018 (10/12/2018). Cette loi envisage des analyses d'impact sur l'environnement.

(7) Les évaluations carbone ne sont pas facilitées par le fait que chaque entité fédérée calcule ses émissions de manières différentes.

(8) Règlement européen (UE) 2018/1999 et Directive 2001/42/EC.

(9) Enquête publique nationale, du 4 juin au 15 juillet 2019 et ouverte aux citoyens de plus de 16 ans.

(10) Sans surprise, 65 % des participants étaient des hommes, 78 % étaient « très instruits ».