Vers l'aperçu

Une reforme de l’impôt des sociétés

L’émotion légitime qui entoure certaines menaces de fermeture d’entreprises conduit à exiger un abandon des intérêts notionnels et une refonte de l’impôt des sociétés. L’idée est excellente, mais il convient alors de la mettre en œuvre de manière systématique dans un cadre rigoureux. Depuis trop longtemps, les mesures fiscales reflètent des contraintes budgétaires éphémères ou des motivations idéologiques qui conduisent à des erreurs d'appréciation. Il s'agit donc, cette fois-ci, de délimiter un cadre de réflexion structuré et surtout d'associer les spécialistes académiques à la démarche.

Nous traversons une crise de la demande, en termes keynésiens. Il faut donc repenser l’impôt des sociétés afin que les investissements productifs et créateurs d'emplois se déploient dans notre pays. C'est important parce qu'en Belgique, les grandes entreprises créent la richesse tandis que les PME créent l'emploi. Il faut donc une fiscalité adaptée à ces deux intervenants. Je soumets plusieurs idées destinées à dynamiser ou à reformuler la fiscalité afin de la rendre plus attractive.

Intérêts notionnels et baisse de l'ISOC. Aujourd’hui, le reflux de la conjoncture exigerait de faire basculer progressivement l’incitation fiscale du passif du bilan - à savoir la subsidiation des capitaux propres au travers des intérêts notionnels - vers l’actif du bilan des entreprises. Il conviendrait désormais de promouvoir les investissements productifs.

Pourquoi envisager une telle approche, qui ne constituerait aucunement une disparition, mais plutôt un déphasage progressif (sur 5 ans, par exemple) des intérêts notionnels concomitant à une baisse du taux nominal de l'ISOC qui devrait être proche de 25 %?

Les raisons en sont nombreuses. La relance de l’économie passe plutôt par la demande (et donc les actifs) que l’offre (et donc les passifs) au sens keynésien. Même si l’accès au crédit est plus difficile pour les grandes entreprises, les taux d’intérêt sont bas, voire négatifs après déduction de l’inflation. Le financement des entreprises n’est donc plus économiquement destructeur. Par ailleurs, le taux de déduction des intérêts notionnels, soit 2,7 %, est supérieur au taux des OLO à 10 ans. Ceci constitue une singularité économique, raison pour laquelle je préconise un alignement du taux de déduction des intérêts notionnels sur le Bund allemand. Enfin, il important de protéger les entreprises contre l’inflation qui altère le capital.

Il serait aussi concevable de limiter le bénéfice des intérêts notionnels à l’autofinancement des entreprises, c’est-à-dire à la quote-part du résultat conservée au sein de l’entreprise plutôt que distribuée sous forme de dividendes. Cela permettrait de lier le bénéfice de la mesure fiscale à l’accroissement de la capitalisation des entreprises. C’était incidemment une modalité qui existait dans la première mouture des textes législatifs en 2005, avant qu’elle n’en disparaisse pour des motifs obscurs.

Investissements Concomitamment à une baisse du taux de l'ISOC, il faudrait mettre en place un système d’amortissement accéléré pour les immobilisations corporelles ou incorporelles. Différentes modalités pourraient être envisagées, tel que ce fut le cas lors de la fin des années septante, au moment où l’économie industrielle s’essoufflait. La mesure peut être modulée de différentes manières : amortissements anticipés des immobilisations, dotations basées sur leur prix de remplacement, etc. On pourrait aussi imaginer que la déductibilité des amortissements porte sur plus de 100 % de la valeur de celles-ci, afin de protéger la reconstitution du capital écornée par l’inflation. Il s’agit donc d’anticiper la déduction d’amortissements, pour autant que la base taxable des entreprises soit suffisante. Cette mesure ne coûte à l’Etat que le financement de l’impôt, dont l’enrôlement est retardé dans le temps. La mesure est donc un simple renvoi temporel d’imposition.

Renforcement des capitaux propres. Une autre mesure devrait stimuler spécifiquement la capitalisation des PME. Il faudrait donc inciter les recapitalisations par des déductions fiscales liées à des conditions en matière d’investissements. Cette approche s’apparente aux mesures Cooreman déployées en 1982-1983. Des avantages pourraient être octroyés aux entreprises qui augmentent leur capital afin de réaliser des investissements productifs. Pour les PME, ces mesures seraient cumulatives aux intérêts notionnels (en déphasage progressif) et à la baisse de l'ISOC. On pourrait aussi imaginer que les PME bénéficient de taux d'ISOC plus bas, afin de les aider à amortir le choc de la crise économique. Par contre, l'idée d'un impôt minimal des sociétés n'est pas applicable, puisque l'ISOC est un impôt essentiellement proportionnel et non progressif.

Promouvoir la consolidation fiscale Il faut promouvoir la consolidation fiscale et la diffusion d’une assiette fiscale européenne harmonisée à l'ISOC. La consolidation fiscale ne présente pas que des avantages pour une petite économie ouverte, mais elle s'inscrit dans le sens de l'histoire de l'harmonisation européenne. Une consolidation fiscale exigerait évidemment de garder un système extrêmement favorable pour la taxation des dividendes et plus-values sur actions, d'autant que la Belgique est un pays de holdings. La taxation à 25 % des plus-values sur actions à court terme devrait être annulée. Elle est inutile et improductive car elle s'oppose à la mobilité du capital.

Cession des pertes fiscales. Une idée innovante concernerait la cession, au sein d’un groupe d’entreprises, de pertes fiscales reportables. La cession des pertes fiscales, qualifiée de « Group Relief », est applicable depuis plusieurs années au Royaume-Uni. Cette méthode reviendrait à considérer les pertes fiscales comme un actif monétisable. Un tel système n’est pas très différent du système de récupération des pertes fiscales sur les résultats bénéficiaires antérieurs des entreprises, tel que cette méthode est appliquée en France.

Régionaliser l’ISOC A l’inverse d’une consolidation fiscale, on peut imaginer une régionalisation de l’ISOC. Pourquoi ne pas conserver un taux nominal au niveau belge de l'ordre de 25 % mais envisager une baisse d’impôt, exprimée en pourcentage de la base taxable, dont les modalités seraient déterminées par les régions ? Une région pourrait, par exemple, promouvoir des investissements accélérés sur des actifs immobilisés tandis qu’une autre donnerait des stimulants particuliers en matière de recherche et de développement. Cette baisse d’impôt, qui deviendrait donc un différentiel régional, s'inscrirait dans le cadre d'une tension maximale autorisée. Elle ne mettrait pas en péril le traitement des revenus étrangers.

Il se poserait, bien sûr, un problème pour les entreprises qui exercent des activités économiques sur plusieurs régions. Il serait nécessaire de savoir comment répartir l’impôt entre les régions, le simple rattachement de l’impôt au siège social n’ayant que peu de sens. Il conviendrait alors d'identifier des clés de répartition. Un autre problème est le traitement fiscal des revenus provenant de l’étranger : théoriquement, il ne peut pas y avoir de différence dans le traitement des revenus étrangers selon qu’une entreprise belge soit établie dans telle ou telle région.

Tacite disait que les nations ne peuvent pas avoir de tranquillité sans une armée, pas d’armée sans solde et pas de solde sans impôts.

Appliquée à revers, cette maxime conduit à la nécessité d’une baisse d’impôt pour gagner les prochaines guerres économiques. Depuis son entrée dans la zone euro, le caractère ouvert et de transit de l’économie belge est exacerbé. Notre pays doit développer une stratégie d’attraction fiscale résolue que la crise rend d’autant plus indispensable.