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Comment le zèle écologiste saborde le secteur renouvelable intermittent

Jeudi passé, la société Sunswitch, pionnière et numéro un du photovoltaïque en Wallonie, annonçait sa faillite et le licenciement de 60 personnes. Ce drame social. se surajoute à quantité d’autres drames similaires dans le secteur renouvelable intermittent en Wallonie depuis deux ou trois ans (Solar Living, Elekt-Ra, Photovoltech, Home Vision, Concept Eco-Enegy, WindeoEnergy, AGC Roux, etc.).



Ce gâchis humain - on peut même parler d’hécatombe - pousse à s’interroger sur ses causes. Elles ne doivent pas être cherchées dans un soutien insuffisant du gouvernement wallon apporté au secteur mais, bien au contraire, dans la course au renouvelable et dans le soutien massif de ce secteur sous forme de certificats verts (CV). Le gouvernement Olivier, soucieux de stimuler le secteur, a créé une demande artificielle qui a engendré une gigantesque bulle verte. Dès janvier 2008, le ministre André Antoine, auteur du système Solwatt, avait multiplié par sept le nombre de CV octroyés par Mégawatheure produit. Il était, prétend-on, prévu que cette mesure soit revue à la baisse une fois que le prix des installations passerait en dessous de la barre des 5000 € le kilo Watt-crête (kWc).[1] Or ce seuil fut franchi au début de l’année 2010, mais son successeur, le ministre Jean-Marc Nollet n’a pas procédé à cette réduction et n’a pas agi effacement, alors qu’il était encore temps, pour mettre fin au dérapage. Cette« inflation » de CV a fait s’écrouler le cours du marché, obligeant Elia à les racheter au prix plancher-garanti et à en répercuter le coût sur le consommateur. En raison du surcoût généré (2,8 milliards € au minimum, « more to come »), le système s’est autodétruit. Toute bulle finit toujours par éclater. C’est ce qui arrive aujourd’hui.



Pour se faire une idée du caractère artificiel de cette demande, il suffit de comparer le carnet de commandes des industries à deux moments : quand le système était effectif et quand il fut suspendu quelques mois entre la fin de Solwatt et l’instauration de Qualiwatt, le nouveau mécanisme subsidiant. En mai et en juin 2013, la CWaPE a dénombré respectivement 2375 et 2374 installations de panneaux photovoltaïques (vu l’intervalle de six mois entre la pose des panneaux et l’enregistrement des données par la CWaPE, ces panneaux ont été commandés avant mars 2013, date de l’expiration du mécanisme Solwatt). Or, en octobre 2013, on en a installé… 231. Soit un rapport de dix à un. En bref, les subsides ont décuplé la demande. Il y a clairement effet d’aubaine. Ces chiffres prouvent à suffisance que le marché était saturé par rapport à la demande effective. Un produit qui dépend à ce point de l’argent public est-il « durable » ?



Quelle est la phrase la plus terrifiante que puisse entendre un entrepreneur, demandait Ronald Reagan ? Celle-ci : « Je suis du gouvernement et je suis là pour vous aider ». Sur les quelques 2400 emplois créés à la hâte, moins de 800 subsistent. La situation actuelle est le résultat prévisible de la politique de « Green Deal » de Jean-Marc Nollet. Tout politicien qui désire « relancer » l’économie, « stimuler » une branche d’activité ou activer une « transition énergétique » a rarement conscience du fait que, en se substituant de manière aussi démiurgique qu’illusoire à la loi de l’offre et de la demande, il instrumentalise le destin de milliers d’hommes et de femmes qui vont consacrer plusieurs années de leur vie dans une activité le plus souvent destinée à disparaître. Sans une telle intervention, tout ce potentiel humain aurait pu trouver sa voie dans des secteurs véritablement porteurs.



Cette situation n’est pas propre à la seule Wallonie. Elle affecte le monde entier. Une vague de faillites retentissantes déferle dans le secteur des énergies renouvelables intermittentes. En 2009, la quasi-totalité du secteur s’est effondré en Espagne. En Amérique, sur les 12 entreprises solaires aidées par Obama pour un montant de 6,5 milliards $, cinq ont fait faillite et les autres connaissent de sérieuses difficultés. Suntech, le géant chinois, numéro un mondial du secteur solaire, est tombé en faillite en 2013 après une perte d’un milliard $ en 2011. L’entreprise danoise Vestas, numéro un mondial de l’éolien, a licencié près de 6500 personnes ces dernières années. Selon le groupe financier Bloomberg, les investissements mondiaux dans le secteur renouvelable intermittent ont chuté de 41% en 2013 et le nombre d’emplois dans le solaire allemand a été divisé par deux. Au-delà même de l’endettement chronique des Etats européens, cet effondrement du secteur vert est l’expression d’un réajustement structurel du marché suite à l’explosion de la bulle du renouvelable gonflée par les mégasusbides.



« Souvent tout gâte qui trop se hâte » dit l’adage. L’expérience de ces dernières années nous montre que le moyen le plus sûr de saborder le secteur des énergies renouvelables intermittentes est de subventionner abondamment la production. Pourquoi ? Parce que ces technologies ne sont pas encore matures pour concurrencer les autres sources d’énergie. Ainsi, selon les chiffres des régulateurs énergétiques, le coût de fabrication de l’électricité d’origine éolienne est presque deux fois plus élevé que celle produite par le gaz et presque quatre fois plus cher que celle produite par le nucléaire amorti ; l’électricité d’origine photovoltaïque est six à neuf plus chère à produire que celle provenant du nucléaire amorti, etc. Cette sur-subsidiation renchérit considérablement le prix de l’énergie : d’après le régulateur wallon de l’énergie, le coût de l’électricité pour le consommateur moyen a augmenté de 54% entre 2006 et juin 2013. Et une étude du Boston Consulting Group publiée en juin 2013 prévoit qu’elle augmentera encore de 40% d’ici 2030.[2]



Par ailleurs, selon le professeur gantois Johan Albrecht, « les technologies aujourd’hui les moins importantes sont celles qui, par le passé, ont bénéficié des aides les plus importantes ».[3] Cette subsidiation génère des effets indésirables (opportunisme, spéculation à court terme), des dérives (fraude) et, in fine, un retour aux énergies conventionnelles qui sont meilleur marché. Ces phénomènes suscitent la méfiance, l’hostilité voire la colère des populations. En Belgique, les mouvements anti-éoliens et associations de propriétaires de panneaux fédèrent des milliers de mécontents. Même si les habitants des villes sont globalement favorables aux éoliennes, les écologistes, par leur politique proactive et déraisonnable (100% renouvelable en 2050), sont en train de décrédibiliser durablement le renouvelable auprès de la population rurale.



Pareille politique écologique tue aussi l’innovation dans l’industrie renouvelable. Quand vous avez l’assurance d’écouler votre production à un prix garanti, de rembourser votre investissement en quelques années et qu’il vous suffit d’acheter, en Chine ou ailleurs, les composantes de votre outil productif, vous n’êtes pas incité à innover. Vous préférez profiter de la rente tant que l’Etat la distribue et vous réorienter vers autre chose par la suite. La Recherche & Développement (R&D) en énergie renouvelable fait l’objet d’investissements nettement insuffisants.[4] Alors que les entreprises dépensent généralement 7% de leurs revenus en R&D, les entreprises du secteur renouvelable investissent à peine de 0,5 à 4% dans l’industrie solaire et encore moins (0,7 à 2%) dans l’industrie éolienne.



Pourtant, le renouvelable intermittent a toute sa place dans un mix énergétique équilibré et pourrait même devenir viable un jour (notamment si on progressait dans le stockage d’énergie). Simplement, il faut le laisser se développer en fonction des besoins du marché libre. Seule la concurrence rend les entreprises inventives et innovantes. Pas les subsides. Quelles que soient les politiques menées en la matière, à long terme, c’est toujours le marché qui désigne les champions. L’Etat peut certes stimuler la R&D mais promouvoir artificiellement la production d’une filière entraîne des gaspillages, des distorsions, des bulles, des faillites et, in fine, des employés sur le carreau...



Corentin de Salle, juriste et docteur en philosophie & David Clarinval, député fédéral (Coauteurs de « Fiasco énergétique. Le gaspillage écologiste des ressources », Texquis, avril 2014, 250 p. (à paraître))



 



[1]Le watt-crète est une unité de mesure représentant la puissance maximale d’un dispositif



[2] Ch. Brognaux and J.Geerinck, Shaping a Vision for Belgium’s Power Landscape, Boston Consulting Group, June 2013



[3]J. Albrecht, Transition énergétique : plus vite vers un système plus vert ?, Academic and Scientific Publisher, 2009, p. 214/sites/default/files/wp-content/uploads/old/books/pdf/itinera_binnen_fr_def_lr.pdf



[4] .J. Albrecht, Why do we persist to under-invest in energy R&D ?, Itinera Institute, 2010/48, 19/07/2010