Vers l'aperçu

La force d'une économie partenariale wallone

La crise constitue un séisme pour l'économie européenne car elle la confronte à la globalisation de l'économie. Les foyers de croissance se déplacent vers les pays à forte démographie et caractérisés par un haut degré de recherche et de développement. Les services à haute valeur ajoutée ne sont plus l'apanage des anciennes sociétés occidentales : ils sont aisément délocalisables.



Bien sûr, on argumentera que la désindustrialisation est un phénomène commun aux sociétés matures. L'argument est correct, puisque la part de l'industrie dans le P.I.B. a lentement glissé au cours du dernier demi-siècle. Mais cela n'explique pas tout : la valeur ajoutée industrielle de notre principal partenaire économique, l'Allemagne, est restée très stable, alors que celle de la France s'est effondrée. Il y a donc des explications qui dépassent une évolution apparemment inéluctable.



Aujourd'hui, le constat de la désindustrialisation est implacable. Outre ce qui précède, quatre causes peuvent y être associées : la petite taille de nos P.M.E. (dont la structure doit être renforcée) et le manque de « grandes entreprises », le manque de flexibilité de notre tissu industriel, un coût du travail élevé ou plutôt une valeur ajoutée par unité de coût du travail trop faible, un coût énergétique également très élevé, et  un manque de culture entrepreneuriale et des difficultés à traduire les résultats de recherche en processus industriels. On peut aussi ajouter l'insuffisance du partenariat entre le système éducatif et le système industriel.



En Wallonie, le dépassement de ces obstacles passera immanquablement par des initiatives complémentaires des secteurs privé et public, dans le cadre d’un rééquilibrage du contrat social et fiscal en faveur du travail. La réhabilitation de l’entrepreneur et du chef d’entreprise doivent être poursuivies.



Le renouveau industriel passera donc par un modèle d'économie « mixte ». Il s'agit d'un écosystème partenarial qui associe l'entreprise, l’État, l'université et le monde syndical, sur le mode de concertation allemand.



Les grandes entreprises ont, au-delà de l’emploi direct créé, un impact indirect important, notamment par la sous-traitance qu’elles génèrent, par le secteur des services aux entreprises qu’elles dynamisent. Les renforcer, et consolider leurs sous-traitants locaux, est un enjeu essentiel de densification de notre tissu industriel. C'est cette approche industrielle par "filière" regroupant à la fois grandes et petites structures, que l'Allemagne a engagé dès 1950 et qui demeure un facteur clé du succès de son économie aujourd'hui. Plus une partie importante de la chaine de valeur ajoutée est produite en Wallonie, plus l’activité sera ancrée dans notre région. Les pouvoirs publics doivent contribuer à donner à ces entreprises des références fortes sur leur marché domestique, et les outils de financement doivent plus résolument encore soutenir leur croissance externe et leur internationalisation, le cas échéant par la mise en place de nouveaux produits imaginatifs.



Un effort de pédagogie et des modalités innovatrices d’intervention doivent encourager certaines P.M.E. à ouvrir leur capital pour, parallèlement à une amélioration de leur gestion, accélérer leur expansion et leur internationalisation. Les outils publics de financement peuvent jouer dans ce cadre un rôle démultiplicateur et complémentaire à celui des investisseurs privés, en privilégiant plus encore les investissements et l'accompagnement à long terme. Afin d’éviter un effet d’éviction des investisseurs privés, ils doivent cependant être plus exigeants sur l’amélioration de la gouvernance et de la réflexion stratégique dans les sociétés participantes, mais aussi parfois sur les conditions financières d’intervention.



De manière générale, en matière de financement par emprunt, les exigences nouvelles imposées aux financements bancaires plaident pour un renforcement des complémentarités entre secteur public et privé, en vue de maintenir des possibilités de financement à long terme.



En matière de recherche et développement enfin, il faut encore renforcer le modèle de la triple hélice, c'est-à-dire l’interaction entre mondes universitaire, industriel et public, dont les pôles de compétitivités sont une belle illustration. Les pouvoirs publics belge et wallon ne doivent pas hésiter à soutenir l’innovation « de proximité » par des politiques en matière de norme de produit, de cahiers de charge lors d’appels d’offre. Ce décloisonnement entre les mondes universitaire, public et privé est fondamental. Il consacre la réciprocité entre ces trois intervenants complémentaires et permet de valoriser les initiatives entrepreneuriales, tout en ouvrant des débouchés à la recherche fondamentale. Car, derrière ces facteurs, c'est bien l'innovation, l'enthousiasme de l'entreprise et du progrès qui est stimulée par un alignement de tous les intervenants.



Le redéploiement de l'industrie wallonne doit aussi intégrer un fait majeur : nous évoluerons dans une économie belge fragmentée. Le fait wallon deviendra décisif. Certains imaginent que le statu quo économique est souhaitable et justifié par certaines traditions collectives. Il faut évoluer constamment, et rapidement. La guerre économique mondiale est déclarée, même au sein de la zone euro dont différentes régions évoluent de manière asynchrone et doivent donc définir leurs avantages comparatifs. . Nous devrons ajuster le curseur du degré de compétitivité (dans toutes ses dimensions) pour nous tourner vers une économie mixte éclairée, entre une collectivisation étatique et une économie purement privée que nous peinons à stimuler. Nous devons avoir le courage de mieux cibler certaines interventions, vers les entreprises qui ont le potentiel de croissance plus important. Ne nous leurrons pas : c’est le basculement vers l’année 2022 qu’il faut anticiper, au moment où la régionalisation déploiera ses pleins effets.



Il faudrait peu de choses pour replacer la région wallonne dans une posture économique offensive car ses atouts sont innombrables. A commencer par un message politique combattif destiné à affronter les réalités concurrentielles. Entre le déni et l’accablement, il y a une troisième voie : celle de l’action conjuguée qui donnera confiance en un avenir pris en mains et qui permettra de maintenir les principaux acquis de notre modèle social. Mais cela exigera de définir soigneusement les atouts concurrentiels que la région wallonne peut déployer. Cela réclamera de l’unité, de la persévérance et un projet collectif.



Olivier Vanderijst, CEO de la Société Régionale d'Investissement Wallonne



Bruno Colmant, Associé du Cabinet de Consultance Roland Berger