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Tax Shift: ajustement budgetaire ou reforme fiscale?

Depuis un an, la Belgique bruisse d'un tax shift, c'est-à-dire une modification pivotale de la fiscalité. Il se chuchote que les textes devraient être prêts pour le 21 juillet. Ceci me semble une date butoir fort rapprochée pour une nouvelle formulation de l'impôt des personnes physiques, censée engager les contribuables pour au moins une génération, d'autant que personne ne semble comprendre la même chose.



Le constat est établi : la fiscalité du travail est trop lourde et handicape notre compétitivité. Mais attention : cette fiscalité a été choisie collectivement. Elle est le reflet d'un contrat social qui fonde un mode de vie en communauté basé sur la solidarité. Il y a cependant une injustice qui frappe la classe moyenne : les classes âgées de la population ont repoussé le financement de leur protection sociale sur les plus jeunes. Ceci conduit à l'intriguant constat qu'au fil des années, la fiscalité du travail s'est alourdie tandis que celle des revenus du capital sans risque (je ne parle pas ici de la taxation du capital à risque, qui est excessive) s'est atténuée. Car voilà le véritable état des lieux : la fiscalité des personnes physiques et la parafiscalité ont fait l'objet d'un immense glissement qui a reporté sur les jeunes ou les futurs travailleurs  le financement d'une dette publique excessive et d'un insupportable coût du vieillissement de la population (lié à l'inattendue augmentation de l'espérance de vie). Les avantages de l'Etat-providence ont donc été inégalement répartis.



Quelles seraient les bases équilibrées d'une réforme fiscale ?



1. Une diminution de la fiscalité du travail ne peut, en aucune manière, constituer un effet d'aubaine qui ne profite qu'aux personnes physiques, même si cela stimule la consommation intérieure. En effet, si l'impôt est réduit mais que le coût salarial n'est pas modifié, cela n'aurait aucun impact favorable sur le coût global du travail et sur la compétitivité. Il faut donc abaisser l'impôt sur les bas salaires et les cotisations sociales. En d'autres termes, il faut éviter la situation des années précédentes au cours de laquelle une réforme efficace de la fiscalité du travail ne s'est peut-être pas suffisamment traduite par une réduction des charges sociales.



2. Une baisse de la fiscalité du travail exigera un glissement des taux d'imposition : il faut accroître légèrement le minimum non imposable (afin de combattre les pièges à l'emploi), mais cela ne pourra être effectué qu'au prix d'un relèvement modique des taux d'imposition dans les barèmes les plus élevés. Idéalement, on devrait réintroduire un taux de taxation à 52,5 % pour les très hauts revenus. Il faut conserver une progressivité intelligente qui respecte l'esprit de la fiscalité belge, à savoir, la capacité contributive de chacun au financement des charges de l'Etat. De surcroît, on ne peut baisser le taux d'impôt des personnes physiques que si on en élargit la base.



3. Une réforme fiscale induit des "effets retours", c'est-à-dire un surcroît de croissance (emploi, consommation, investissement) qui se traduit, à plus ou moins longue échéance, par un accroissement des recettes fiscales. Il ne faut cependant pas en attendre des miracles : les effets retours sont plutôt le fait de facteurs étrangers à la fiscalité, comme une conjoncture économique favorable ou des taux d'intérêt en baisse. De plus, les exigences européennes sont très strictes et imposent quasiment (à tort, selon moi) d'atteindre impérativement l'équilibre budgétaire sans tenir compte de la nature des orientations fiscales.



4. Il n'est pas possible de financer une réduction de la fiscalité du travail par un simple report sur la fiscalité environnementale. Je crois même que cette dernière s'impose, indépendamment de tout tax shift car l'enjeu est sociétal et non circonstanciel.



5. Un report massif de la taxation du travail vers la fiscalité indirecte (TVA, etc.) est une voie intéressante, mais d'envergure limitée. Il faut faire extrêmement attention à ce que l'accroissement de la TVA, combiné au saut d'index, ne contrarie pas la consommation intérieure dans un contexte déflationniste. C'est d'ailleurs ce qui s'est passé au Japon où la récente hausse de la taxe sur la consommation a conduit à une "fausse inflation" et à une stagnation de la consommation privée. Au reste, depuis les programmes électoraux de mai 2014, la situation économique a profondément changé : nous subissons un choc déflationniste.



6. Si on écarte la fiscalité environnementale et indirecte comme des compensations exclusives d'une détaxation du travail, on en arrive alors à la fiscalité des revenus de l'épargne. Je ne parle pas ici d'une taxation du capital lui-même ou des plus-values mobilières, car ces deux thèmes induisent une double taxation économique. Outre qu'elle ne s'appliquerait qu'au capital productif en actions, une taxation des plus-values mobilières conduirait ainsi à imposer deux fois le même revenu (une fois lors de la constatation d'une plus-value et une seconde fois lors de l'encaissement du revenu).



7. Il faudrait dès lors revenir à l'esprit de la réforme fiscale de 1962. Cette dernière fut construite sur deux piliers, à savoir la globalisation des revenus et leur taxation à un taux progressif par paliers. Notre système reste distributif mais la globalisation fut altérée en 1985 en rendant le précompte mobilier libératoire : ce dernier représente désormais une taxation définitive pour les revenus mobiliers tandis que les revenus professionnels sont les seuls à être encore taxés progressivement.



8. Il s'agirait de re-globaliser les revenus, mais – contrairement aux orientations de 1962 – de détaxer la prise de risque, c'est-à-dire de taxer plus lourdement les revenus mobiliers sans risque que les dividendes afin de stimuler l'investissement et l'entreprenariat.  Il n'est, en effet, pas normal qu'un intérêt d'obligation d'Etat soit taxé à 25 % tandis qu'un dividende le soit à 50 % (34 % d'impôt des sociétés plus 25 % de précompte mobilier).  Inversement, les déductions fiscales pour l'épargne à long terme sont totalement insuffisantes. Il faudrait donc re-globaliser en détaxant les revenus les plus risqués, c'est-à-dire les revenus du travail et ceux du capital à risque. C'est cette orientation qui correspond à l'économie du 21ème siècle.



En conclusion, il y a probablement lieu de restaurer une certaine progressivité de l’impôt tout en élargissant la base fiscale et donc en abaissant le taux d'impôt. Le fait de globaliser l’ensemble des revenus en stimulant la prise de risque (sous forme de travail et d'investissement en capital à risque) permettrait de taxer de façon rationnelle et équitable l’ensemble des revenus d’une personne physique en pénalisant moins les revenus du travail. Il faut donc basculer d'un système à base étroite et de haute taxation vers un système à base élargie et de taxation amoindrie. Le temps est peut-être venu de réaliser un aggiornamento économique, c’est-à-dire un renouveau du modèle belge.