Vers l'aperçu

Les dilemmes fiscaux de nos gouvernements federaux

La dette publique a repris une tendance ascendante. Bien sûr, un pays peut supporter une dette publique importante pour autant que sa crédibilité monétaire et sa capacité d’épargne le permettent. Plongé depuis près de 20 ans dans une conjoncture morose, le Japon a ainsi accumulé des plans de relances qui ont propulsé la dette publique à 250 % du PIB.



Mais, sauf à imaginer que l’endettement public puisse être perpétuel, la dette doit, à tout le moins, être stabilisée. Cette exigence est d’autant plus contraignante que la dette publique est composée de deux agrégats, à savoir la dette existante et la dette future, non encore comptabilisée. En Belgique, cette dette future représente notamment le coût du vieillissement, estimé à un multiple du PIB. Le FMI a d’ailleurs prévenu la Belgique que le choc budgétaire du vieillissement serait plus significatif que celui de la crise bancaire.



Et comment rembourse-t-on une dette publique ? La plupart des économistes anticipent, dans quelques années, une salutaire poussée d’inflation. A l'intuition, ce sera probablement l’érosion monétaire qui allègera finalement les dettes des débiteurs (dont l’endettement de l’État) et les patrimoines des épargnants.



Pourtant, dans un premier temps, nos économies ne se prêtent pas à l’inflation pour diverses raisons politiques et sociologiques (vieillissement de la population, surcapacité des capacités de productions industrielles, gains de productivité liés à la numérisation des processus, absence d’inflation importée, récession, restrictions budgétaires, etc.). Faute d’inflation, c’est l’impôt qui sera convoqué pour redresser les finances publiques. 



La question est désormais de savoir sur combien d’années et selon quelle logique l’effort fiscal va être imposé ? L’équation est extrêmement complexe. Une levée d’impôts trop rapide ruinerait les plans de relance, qui sont justement fondés sur la stimulation keynésienne de la demande. En d’autres termes, il serait schizophrénique de relancer la consommation et l’investissement et, en même temps, de lever des impôts, car l’austérité fiscale conduirait à l’anémie économique.



Inversement, l’étalement de l’impôt sur un trop grand nombre d’années bouleverserait l’équité générationnelle. Les générations futures pourraient, à juste titre, contester l’héritage d’une dette ancienne. De surcroît, un report de la dette deviendrait rapidement stérile à cause du vieillissement de la population. Les générations futures seront, en proportion, moins nombreuses pour financer un nombre croissant de personnes inactives.



A notre intuition, il est donc difficile de reporter le poids fiscal sur davantage que deux générations. C’est donc au cours des 20-30 prochaines années qu’il faut anticiper ces réalités fiscales.



Mais alors, comment formuler une stratégie budgétaire qui devra à la fois couvrir les déficits existants et prévenir le coût du vieillissement ? Le pouvoir politique sera-t-il assez discipliné pour constituer des réserves à long terme (exercice qui a toujours échoué) afin d’assurer ce coût du vieillissement ? Nos gouvernements disposeront-ils d’une latitude suffisante pour baisser les dépenses plutôt que de s’abandonner à des pulsions taxatoires ? Autant de questions qui sont sans réponse à ce stade. La réalité sera sans doute un mélange d’impôts et de mesures fiscales de stimulation.



Une chose est, par contre, certaine. Notre pays doit d’abord calibrer le poids de l’impôt sur l’économie. Or la fiscalité et la parafiscalité sur le travail sont trop élevées. Il faut, comme le gouvernement l'a initié, réduire le coût global du travail par une réallocation des ressources vers les clases d'emploi qui doivent être stimulées, d’autant que notre économie est très ouverte et peu protégée par sa géographie. Elle doit donc être concurrentielle sur le plan de l’attractivité fiscale, ce qu’elle est insuffisamment pour le travail.



Par ailleurs, le vieillissement de la population limitera la taxation des revenus professionnels, mais posera la question de l’imposition des revenus différés, que ces derniers découlent de l’épargne personnelle ou des transferts sociaux (pensions, etc.). Certains s’orienteront-ils alors vers un alourdissement de la fiscalité du capital, c’est-à-dire sur les revenus mobiliers et immobiliers. Ce n’est pas exclu, encore que ce ne soit aucunement souhaitable sur le capital à risque, afin d’éviter les erreurs des années quatre-vingt. Mais ce devra être un choix idéologique soigneusement réfléchi. Une taxation accrue des revenus du patrimoine conduirait à des phénomènes de double imposition. Cela pénaliserait dramatiquement l’épargne, déjà érodée par la crise boursière et les taux d'intérêt nuls.



Le vieillissement des contribuables devrait plutôt conduire à développer les stimulants fiscaux à l’épargne individuelle de précaution (acquisition d’immobilier, épargne-pension). Cette réflexion s’inscrirait elle-même dans la déliquescence progressive (mais inéluctable pour des raisons budgétaires) du système de répartition des revenus différés au profit d’un système de capitalisation.



Dans la même perspective, il n’est pas exclu que la charge fiscale se déplace latéralement pour taxer la consommation (c’est-à-dire un flux) plutôt que la constitution d’épargne. Cette orientation est fondée sur la constatation que les impôts à large assiette provoquent moins de distorsions et permettent une collecte plus efficace. Dans cette perspective, on pourrait imaginer d’affiner l’idée de la TVA sociale, qui permet de financer une fraction des charges sociales par une augmentation de la TVA.  Il n'est pas non plus exclu que la taxation soit progressivement basée sur les recettes en espèces des contribuables, dans une prospective de disparition progressive de la monnaie physique et une économie décentralisée (de type Uber)



En résumé, il est urgent de définir les nouveaux azimuts de la fiscalité. La situation budgétaire rendra probables des hausses d’impôts. Mais nos gouvernements devront faire face à un dilemme : la crise exige de stimuler la consommation, mais l’endettement de l’État exigera de stimuler l’épargne. Or ce qui est épargné n’est pas consommé, et vice-versa. La crise rendra l’impôt redistributif alors qu’il faudra aussi en faire un outil incitatif. Les prochaines années seront donc décisives. Aucun choix n'est facile, ni neutre idéologiquement, mais la procrastination des années quatre-vingt ne nous sera plus pardonnée.